Le rapport « Planète vivante » du Fonds mondial pour la nature (WWF) révèle l’ampleur de l’érosion de la biodiversité.
C’est un chiffre qui vient nous rappeler, tous les deux ans, l’ampleur dramatique de la perte de biodiversité. Entre 1970 et 2016, les populations mondiales de vertébrés – oiseaux, poissons, mammifères, amphibiens et reptiles – ont décliné en moyenne de 68 %, révèle le Fonds mondial pour la nature (WWF). L’organisation publie, jeudi 10 septembre, la mise à jour de son « indice planète vivante » (IPV), à l’occasion de la treizième édition de son rapport sur l’état de la biodiversité.
Calculé par la Société zoologique de Londres, l’IPV a pris en compte cette année les données scientifiques concernant 20 811 populations représentant 4 392 espèces d’animaux. « Ce chiffre témoigne d’un déclin spectaculaire des populations de vertébrés sauvages en moins de cinquante ans, souligne Véronique Andrieux, la directrice générale du WWF France. Il doit résonner tout particulièrement cette année, alors que les racines de la pandémie de Covid-19 sont liées à notre modèle de production et de consommation et à la crise écologique. »
Les vertébrés représentent moins de 5 % des espèces animales connues, mais sont les plus étudiés et les mieux suivis. « L’IPV fait partie des indicateurs qui font référence, confirme Florian Kirchner, responsable du programme espèces au sein du comité français de l’Union internationale de conservation de la nature (UICN). La liste rouge s’intéresse aux espèces les plus proches de l’extinction, mais avec l’IPV, on se rend compte qu’un grand nombre d’espèces, même communes, connaissent un déclin significatif. Il prouve à quel point l’érosion de la biodiversité est profonde. »
Au-delà de la baisse moyenne des effectifs, l’indice planète vivante – qui montrait un déclin de 60 % en 2018 et de 58 % en 2016 – souligne des disparités importantes. Il confirme que les régions tropicales sont les plus affectées : la baisse atteint 94 % en Amérique centrale et dans les Caraïbes, soit le déclin le plus important jamais observé dans une région. Le continent africain est également fortement touché, avec une diminution de 65 %.
Surexploitation
Concernant les milieux, ce sont les eaux douces qui sont concernées en premier lieu. La destruction de près de 90 % des zones humides mondiales depuis 1700 et la modification par l’homme de millions de kilomètres de rivières ont eu un impact considérable sur la démographie des espèces qui y vivent. Parmi les quelque 3 700 populations suivies, représentant près d’un millier d’espèces, le déclin a été en moyenne de 84 %, avec une baisse particulièrement forte de l’abondance des animaux de grande taille.
Esturgeons, poissons-chats géants du Mékong, dauphins de rivière, loutres, castors, hippopotames… Ces animaux d’eau douce, souffrent notamment de surexploitation. « Les grands poissons sont également fortement affectés par la construction de barrages, qui bloquent leurs voies migratoires, les empêchant de rejoindre leurs zones de frai et d’alimentation », ajoute le rapport.
« La destruction de la biodiversité d’eau douce a un impact sur les animaux, mais aussi sur l’homme, insiste Véronique Andrieux. Des millions de personnes en dépendent pour la pêche, l’accès à l’eau… Et les pertes de zones humides sont extrêmement graves, car celles-ci jouent un rôle de filtre, en améliorant la qualité de l’eau, de protection face aux catastrophes naturelles, etc. »
Les facteurs entraînant l’érosion de la biodiversité, liés aux activités humaines, sont connus. La plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques a recensé, en 2019, les principales menaces : les changements d’usage des terres et des mers, la surexploitation, la pollution, les espèces invasives et le changement climatique. « Notre système de production alimentaire est l’un des premiers facteurs de changement d’affectation des terres, précise Arnaud Gauffier, le directeur des programmes du WWF France. Il est à l’origine de 80 % de la déforestation, de 30 % des émissions de gaz à effet de serre, de 50 % des pertes de biodiversité en eau douce… »
Transformer le système alimentaire
Face à ces menaces croissantes, est-il possible d’agir pour ralentir, voire mettre un terme à l’érosion de la biodiversité terrestre due au changement d’utilisation des terres ? Et si oui, comment ?
C’est pour répondre à ces questions que le WWF et une quarantaine d’ONG et de scientifiques, réunis au sein de la coalition Bending the Curve (« inverser la courbe »), ont réalisé un travail de modélisation inédit. Sept scénarios ont été élaborés pour explorer les effets potentiels de différentes actions. « Une telle approche s’inspire des efforts similaires de la communauté scientifique autour des questions liées au changement climatique, précise David Leclère, le principal auteur de l’étude et chercheur à l’Institut international d’analyse des systèmes appliqués. Elle a utilisé avec succès des modèles et des scénarios pour informer sur les actions à entreprendre pour atteindre des objectifs de stabilisation du climat. »
Les résultats de ces travaux, publiés jeudi dans la revue Nature, montrent que seule une approche intégrée, combinant des mesures de protection ambitieuses et une transformation du système alimentaire, permet de redresser la courbe de la perte de biodiversité d’ici à 2050.
Ce scénario prévoit d’agir sur trois leviers. D’abord, il suppose une protection immédiate et réelle de 40 % des zones terrestres (hors Antarctique) – contre environ 15 % aujourd’hui, avec une efficacité partielle – et des efforts de restauration croissants, atteignant 8 % de la surface terrestre d’ici à 2050. Ensuite, le système de production agricole doit être profondément modifié. Il faut augmenter les rendements des cultures, rendre les échanges plus durables – en réduisant par exemple l’empreinte de la biodiversité des produits commercialisés – et réduire le gaspillage tout au long de la chaîne d’approvisionnement, avec une diminution de moitié du gaspillage alimentaire des ménages. Enfin, ce scénario prévoit une baisse de 50 % de la consommation de protéines animales d’ici à 2050, sauf dans les régions où celle-ci est déjà faible.
Appel à agir
« Nous avons examiné ce qui constitue aujourd’hui la plus grande menace pour la biodiversité terrestre – la conversion des habitats et le changement d’utilisation des terres –, mais nous savons que d’autres menaces pourraient gagner en importance à l’avenir, comme le changement climatique, précise David Leclère. Cela signifie que le déclin de la biodiversité pourrait être encore plus prononcé et qu’une action encore plus complète pourrait être nécessaire pour inverser réellement la courbe. »
Alors que plusieurs rendez-vous internationaux cruciaux sont prévus en 2021, dont le congrès de l’UICN en janvier en France et la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (COP15) en Chine, le WWF appelle les responsables politiques, les entreprises, les collectivités et les citoyens à agir.
« Nous exhortons les décideurs à prendre leurs responsabilités pour aboutir à un accord ambitieux lors de la COP15 et mettre la France et l’Union européenne sur la voie d’une politique agricole commune plus verte, d’une relance réellement au service de la biodiversité et de la lutte contre la déforestation importée », insiste Arnaud Gauffier. « Les hommes ne peuvent pas être en bonne santé sur une planète malade », ajoute Véronique Andrieux.
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