Publié le 7 septembre 2020
LETTRE DE… Le garde-frontière israélien qui a abattu Iyad Al-Hallaq, en mai, dans la Vieille Ville, aurait ignoré un ordre de son commandant.
LETTRE DE JÉRUSALEM
La scène a fait le tour du pays, même s’il n’y en a pas d’image. Le 30 mai, un jeune Palestinien, Iyad Al-Hallaq, autiste qui se rendait dans un centre spécialisé de la Vieille Ville de Jérusalem, suscite la suspicion de gardes-frontières israéliens. Poursuivi, il se réfugie dans un local à poubelles et y est abattu.
Son portrait a été brandi dans des manifestations en Palestine durant l’été, et dans celles qui se perpétuent depuis juin à Jérusalem, sous les fenêtres de Benyamin Nétanyahou, où le slogan « Justice pour Iyad » se mêle à la multitude de revendications qui rassemblent ces opposants au premier ministre.
La mort de Iyad Al-Hallaq avait eu lieu quelques jours après celle de George Floyd, Noir américain tué par un policier à Minneapolis (Minnesota). Fait rare, M. Nétanyahou lui-même avait demandé une enquête approfondie.
Poursuite
Fin août, une partie des auditions menées par la police des polices ont été publiées dans la presse israélienne. Elles révèlent que le garde-frontière qui a tué Iyad Al-Hallaq n’aurait pas obéi à un ordre de son supérieur, qui lui avait interdit de faire feu. « Il n’a pas attaqué ou fait quoi que ce soit. Clairement il ne résistait pas. Il ne m’a pas mis en danger », a déclaré cet officier aux enquêteurs, selon le quotidien Haaretz.
Selon ces comptes rendus d’auditions, Iyad Al-Hallaq, 32 ans, avait été repéré tôt ce samedi matin par un garde-frontière en poste près de la porte des Lions, une entrée de la Vieille Ville. Le chemin est court de chez ses parents au centre où il est accueilli chaque jour et travaille. Le garde juge sa conduite suspecte et crie au « terroriste », déclenchant une poursuite.
L’officier qui la mène est âgé de 21 ans, il effectue depuis plus de deux ans son service dans la Vieille Ville, au sein des gardes-frontières, corps policier paramilitaire déployé en Cisjordanie et à Jérusalem. « Nous l’avons poursuivi en lui criant après, mais il continuait de courir », a-t-il dit aux enquêteurs. L’officier tire, visant les jambes, et manque sa cible.
Iyad Al-Hallaq cherche un abri, un local à poubelles. L’officier l’y rejoint, accompagné d’une jeune recrue, âgée de 19 ans, fraîchement sortie de sa période d’entraînement (leurs noms n’ont pas été révélés). L’accompagnatrice d’Iyad Al-Hallaq, arrivée sur les lieux quelques minutes après le début de l’incident, selon Haaretz, a affirmé aux enquêteurs avoir crié aux policiers que le jeune homme était handicapé et inoffensif.
« Incident terroriste »
Les gardes-frontières nient quant à eux l’avoir vue ou entendue – le plus jeune dit avoir perçu une voix de femme criant durant la poursuite, et aurait présumé qu’il s’agissait d’une passante apeurée.
« Quand je suis arrivé, j’ai regardé le gars et j’ai crié “Stop” », dit le commandant aux enquêteurs. « Je voulais dire que les policiers qui arrivaient et mon partenaire, qui était avec moi, devaient cesser de tirer. » L’officier comprend « qu’il y a une contradiction entre les informations que j’ai reçues au début – qu’il s’agissait d’un incident terroriste, destiné à blesser des innocents – et la situation dans le local à poubelles ». Le lieu est fermé, sans issue, et l’officier estime pouvoir examiner Iyad Al-Hallaq à distance et l’interroger.
Sur la foi du récit de l’accompagnatrice, des proches d’Iyad Al-Hallaq ont affirmé que cet examen avait duré plusieurs minutes. L’officier, quant à lui, assure que son cadet a tiré rapidement deux balles de fusil d’assaut, le touchant au torse. « J’ai crié encore “Arrête de tirer, arrête de tirer” », dit-il. Son cadet avait perçu « un geste infime [d’Iyad] autour de sa taille et de ses jambes. »
L’avocat du jeune garde-frontière a précisé aux enquêteurs qu’il avait cru distinguer qu’Iyad Al-Hallaq s’apprêtait à sortir une arme. Le jeune homme portait des gants chirurgicaux sombres, à cause du coronavirus. Le garde lui-même nie avoir entendu l’ordre de son supérieur : « Je n’ai pas entendu “Stop”. J’ai agi comme on m’a appris à le faire. Pour moi, c’était un terroriste sur lequel le commandant de mon unité avait tiré avant que nous n’entrions dans cette pièce. » Selon Haaretz, le premier policier qui avait remarqué Iyad Al-Hallaq aurait regretté par la suite, auprès de collègues, de ne pas avoir prévenu le jeune homme ou de ne pas lui avoir crié de s’arrêter pour s’identifier, avant de le déclarer un « terroriste. »
Impunité
L’enquête approche de sa fin, sans que la police ait publié d’images des caméras de surveillance, omniprésentes dans la Vieille Ville, qui éclaireraient les circonstances de cette mort, et que réclament les manifestants.
Selon les enquêteurs, deux caméras privées donnant sur ce local étaient débranchées ce jour-là. Une fois leurs conclusions transmises au procureur, il n’est pas assuré qu’une procédure criminelle puisse être ouverte : elles sont extrêmement rares.
En juin, le député Ahmad Tibi avait rappelé que cinquante-huit Arabes citoyens d’Israël avaient été tués depuis les années 2000 par les forces de sécurité israéliennes, sans qu’aucun fonctionnaire soit condamné. L’ONG israélienne B’Tselem fait un constat d’impunité plus sévère encore dans les territoires occupés, où elle dénombre seize Palestiniens tués par les forces israéliennes depuis le 1er janvier. En juin, elle déplorait que la plupart des enquêtes « blanchissent la violence et assurent l’impunité des responsables. Des soldats et des policiers israéliens ne sont tenus responsables du meurtre de Palestiniens qu’en des cas exceptionnels ».
Dernière illustration en date : un militaire israélien a récemment été condamné à trois mois de travaux d’intérêt général pour avoir tué en mars 2019 un Palestinien de 22 ans, Ahmad Manasrah, qui portait secours à une famille après un accident de la route, près de Bethléem.
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