La sévérité ou non des peines prononcées n’a en réalité pas d’incidence sur les violences, ce qui contredit le discours sur « l’ensauvagement », assure, dans une tribune au « Monde », Jean-Baptiste Perrier, spécialiste des questions pénales.
Tribune. Après certains faits violents commis à l’occasion de diverses manifestations ou d’actes de délinquance, des voix, dont celle du ministre de l’intérieur, appellent à réaffirmer l’autorité de l’Etat face à ce qui est présenté comme un « ensauvagement » d’une partie de la société [« Il faut stopper l’ensauvagement d’une partie de la société », déclarait le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, dans une interview publiée le 24 juillet par Le Figaro].
Cette prétendue crise de l’autorité masque cependant une véritable crise d’autoritarisme que semblent à nouveau subir certains responsables politiques. On se souvient que la question de la sécurité avait été au cœur de la campagne présidentielle de 2002, avant de ressurgir en 2005 (la fameuse « racaille » et le « Kärcher » d’un précédent ministre de l’intérieur), ou encore, en 2010, avec l’adoption d’une loi visant à lutter contre les violences en bandes.
Or cette récurrence révèle à elle seule l’incapacité des pouvoirs publics à endiguer le phénomène par la réponse sécuritaire, et à restaurer cette autorité prétendument perdue. Surtout, au-delà du discours politique, les dernières annonces soulignent les dangers de cette approche et révèlent un péril autoritaire.
La rhétorique est connue : la délinquance s’aggrave. Si ce constat est partiellement vrai, il n’est pas nouveau. La délinquance a connu une augmentation constante entre 1975 et 2000 : les violences constatées envers des personnes ont ainsi été multipliées par quatre durant cette période (la catégorie est très large puisqu’elle englobe tant les vols avec violence que les agressions sexuelles).
Hausse des plaintes pour violences sexuelles
Ces dernières années, si on constate une hausse des violences envers les personnes, au sein de cette catégorie, certains faits connaissent une augmentation tandis que d’autres diminuent. Ainsi, le nombre des violences sexuelles a nettement augmenté selon les statistiques du ministère de l’intérieur (+ 11 % en 2017, + 19 % en 2018 et + 12 % en 2019, source : « Interstats » n° 24, janvier), ce qui est dû sans doute à la « libération » de la parole qui conduit les victimes à dénoncer plus fréquemment les faits.
S’agissant des autres violences, l’évolution est plus contrastée : le nombre de vols avec violences constatés recule (− 5 % en 2017, − 7 % en 2018 et − 2 % en 2019), tandis que le nombre de cas de coups et blessures volontaires augmente (+ 4 % en 2017, + 8 % en 2018 et encore + 8 % en 2019) ; pour ces derniers, la hausse est surtout due à l’augmentation du nombre de violences intrafamiliales (+ 14 % en 2019).
Bref, si certains faits divers surmédiatisés peuvent laisser croire à une aggravation de la délinquance, ils ne reflètent pas la réalité statistique. Surtout, les causes sont multiples : l’évolution de la délinquance constatée s’explique aussi par l’augmentation des dénonciations et des signalements. Il ne s’agit pas de nier l’existence de ces violences graves, mais simplement de les recontextualiser, bien loin de l’« ensauvagement » de la société.
Face à cette délinquance, la justice pénale se montre de plus en plus sévère et dément ainsi les fausses accusations de laxisme dont elle fait l’objet. Le nombre des peines dites de milieu ouvert, celles qui ne s’exécutent pas (une peine avec sursis, par exemple), ou celles qui s’exécutent hors de la prison (une peine de travail d’intérêt général, par exemple), baisse depuis la fin des années 2000 : − 28 % entre 2008 et 2018, selon les statistiques du ministère de la justice (« Infostat justice » n° 176, juillet).
Dans le même temps, la part des peines d’emprisonnement augmente sensiblement : le rapport entre le nombre de peines d’emprisonnement ferme supérieures à six mois et le nombre de peines en milieu ouvert était de 0,14 en 2009, il est de 0,22 en 2018. Difficile, au regard de ces données, d’affirmer que la réponse judiciaire serait devenue laxiste, puisqu’elle s’est manifestement renforcée au cours de la dernière décennie.
Satisfaire l’opinion publique
Or, et c’est bien la difficulté, malgré le renforcement de la sévérité de la réponse pénale, tant dans la loi que dans la pratique judiciaire, aucune évolution notable de la délinquance ne peut être rapportée, et encore moins y être corrélée.
La sévérité ou non des peines prononcées n’a pas d’incidence sur la délinquance « urbaine », ces agressions et violences commises lors de manifestations ou encore dans les transports. Un tel constat est logique : ces actes s’inscrivent dans un contexte de spontanéité ou d’opportunité, et leur auteur ne réfléchit pas aux conséquences pénales. Pour ces violences, commises parfois en bandes (avec l’effet de groupe) et/ou sous l’influence de l’alcool, l’auteur ne procède pas à un calcul rationnel du coût et des avantages. Dès lors, sinon pour satisfaire l’opinion publique avec un discours de fermeté, le renforcement de la répression n’a pas eu d’effet dissuasif sur la délinquance et n’en aura pas plus à l’avenir.
Les limites de la logique sécuritaire des vingt dernières années semblent ainsi démontrées et, pourtant, la réponse politique aux derniers actes de délinquance est un nouvel appel à restaurer l’autorité de l’Etat.
La démarche pourrait sembler vaine, mais elle n’est pas sans risques, bien au contraire. Un premier risque pèse sur les libertés car le discours autoritaire conduit à privilégier les enjeux sécuritaires au détriment des droits individuels. L’équation est en effet inévitable : à défaut de pouvoir faire baisser la délinquance, le renforcement de l’autorité conduit à plus de contrôle et donc à plus de surveillance.
Un second risque, plus insidieux, porte sur le lien social lui-même : au-delà de son origine douteuse, la terminologie utilisée rejette une partie de la société, présentée comme « sauvage ». Alors qu’il faudrait restaurer le lien social, l’approche retenue délite ce lien en créant et en opposant des « parties » d’une société.
Il ne s’agit pas d’accepter ou d’excuser les faits commis, mais simplement de reconnaître qu’ils sont commis au sein de la société, et non en marge, et ce afin d’en traiter les causes par des remèdes qui ne relèvent pas uniquement de la répression pénale.
Jean-Baptiste Perrier est professeur de droit privé et sciences criminelles à Aix-Marseille Université, où il dirige l’Institut de sciences pénales et de criminologie et le master sécurité intérieure. Il est également vice-président de l’Association française de droit pénal.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire