Publié le 06/09/2019
La stimulation cérébrale profonde (SCP) a été proposée dans la prise en charge d’affections neuropsychiatriques diverses en tant que traitement symptomatique. C’est cependant dans la maladie de Parkinson sévère que cette technique (plutôt invasive) donne le meilleur d’elle-même, mais elle a été également évaluée de manière assez confidentielle dans la maladie d’Alzheimer. Un essai randomisé dans lequel ont été inclus 42 patients atteints de cette démence a conclu à l’inefficacité de la SCP, les troubles cognitifs n’ayant pas été améliorés par la stimulation élective du fornix. Cet échec n’est pas incompatible avec des découvertes relevant de la fameuse sérendipité et débouchent potentiellement sur une compréhension approfondie des arcanes de la mémoire humaine. C’est ce qui est suggéré dans une lettre à l’éditeur publiée dans le New England Journal of Medicine.
La SCP effectuée à l’aide de quatre électrodes implantées dans le fornix, la commissure antérieure et la partie superficielle du corps calleus a été débutée deux semaines avant l’inclusion dans l’essai. Elle a abouti à des réminiscences et à des flashbacks chez près d’un participant sur deux (48 %). Cet effet « mémoriel » particulier a été positivement corrélé à l’intensité de la stimulation qui est allée croissant de 0 à 10 V, jusqu’à l’apparition d’évènements indésirables. Des souvenirs très anciens et fort anodins, enfouis au tréfonds de la mémoire, sont revenus à la surface sous l’effet des impulsions électriques de plus en plus intenses. Des souvenirs comme un état d’ébriété à coup de margaritas quelque part au bout du monde dans un lieu de loisirs à Aruba ou encore une sensation de satiété après un bon repas à base de sardines, quelque vingt années auparavant sous le porche d’une demeure. Des souvenirs qui dorment profondément dans les archives mémorielles, c'est-à-dire la « poubelle du bureau » utilisé par le cerveau quand il joue à l’ordinateur, une poubelle qu’il est censé vider pour faire de la place aux souvenirs récents au détriment des anciens qui perdent toute utilité. Mais le cerveau est à même de remplir d’autres fonctions qui n’ont pas pour priorité le nettoyage approfondi de tous les circuits de la mémoire, il fait même preuve d’une certaine négligence naturelle et incompréhensible tant les voies de la mémoire sont impénétrables et réfractaires à tout inventaire exhaustif.
Des effets corrélés à l’intensité de la stimulation
Au total, vingt patients ont rapporté 85 épisodes de flashbacks plus ou moins précis, mais chez 12 d’entre eux, les expériences mémorielles ont été particulièrement riches en informations spatiotemporelles, voire sensorielles et émotionnelles volontiers élaborées, propres à restituer l’ambiance des faits vécus « sur le moment ». Fait notable, les expériences rapportées ont gagné en précision et en consistance au fur et à mesure que l’intensité du courant augmentait. Ainsi, à 7 V, un patient se rappelle vaguement avoir aidé quelqu’un à retrouver quelque chose chez lui, alors qu’à 10 V, il situe l’évènement dans le temps, une nuit aux alentours d’Halloween. Chez la plupart des intéressés, le nombre croissant de volts a provoqué des sensations désagréables à connotation sensorielle ou neurovégétative, interdisant le plus souvent de stimuler plus fort.
Le rôle du fornix
Aucune corrélation entre les flashbacks mémoriels et les variables suivantes n’a été établie : fonctions cognitives avant ou après SCP, volume cérébral total ou encore volume de l’hippocampe. Ces phénomènes « expérientiels » complexes ne sont pas sans rappeler les effets de la stimulation électrique corticale rapportés par Penfiels dans les années 30 quand il a élaboré sa fameuse cartographie cérébrale. Le fornix fait partie du circuit qui traite les informations relevant de la mémoire épisodique et intégrant les évènements autobiographiques. Il intervient aussi dans la mémoire sémantique qui traite des idées et des concepts les plus variés. L’aire dite sous-calleuse est impliquée dans les souvenirs qui sont connotés sur le plan émotionnel et spatial. Ces structures anatomiques, notamment le fornix, font partie du célèbre circuit de Papez décrit en 1937 et maître d’œuvre dans le fonctionnement de la mémoire à long terme… et la genèse des souvenirs.
Autant de relais anatomiques qui peuvent expliquer les observations faites dans le cadre de cet essai randomisé et autant d’arguments pour considérer que la SCP offre la possibilité d’explorer les voies de l’encodage et du rappel des souvenirs aussi futiles soient-ils. Cette technique, couplée à la tractographie et à l’imagerie fonctionnelle ouvre-t-elle réellement des portes dans l’étude neuro-anatomique et neurophysiologique de la mémoire ? En théorie oui, mais en pratique, le caractère invasif de la procédure et ses risques réels freinent quelque peu l’enthousiasme.
La SCP est un outil à manier avec précaution et il n’est pas question qu’elle devienne une source de mauvais souvenirs chez les volontaires sains qui s’y soumettraient, les comités d’éthique risquant fort de tempérer les ardeurs des uns et des autres.
Dr Peter Stratford
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