Début juin, l’Académie nationale de médecine a adopté un rapport appelant à une mobilisation nationale pour soigner les maladies mentales. Des membres du groupe de travail qui l’ont préparé évoquent ces enjeux dans une tribune au « Monde ».
Tribune. Le constat est sans appel. Les maladies mentales apparaissent toujours, dans notre pays, marquées du signe de la fatalité, d’un destin sans espoir, d’une étrangeté radicale perçue encore comme dangereuse. Le déni collectif perdure. Les malades et les soignants demeurent les invisibles de notre société et de notre système de santé.
L’enjeu est pourtant plus que majeur. Les maladies psychiatriques touchent 20 % de la population. Toutes les familles sont concernées à un titre ou à un autre. L’espérance de vie des malades est de quinze ans inférieure à la moyenne. Leur taux de suicide, très élevé, est supérieur à celui des pays voisins. Le coût des troubles psychiques pour la société a été évalué à plus de 110 milliards d’euros par an.
Sortir de l’invisibilité et de l’indifférence collective
Derrière les chiffres, il y a la réalité croissante de jeunes adultes qui entrent dans la maladie avant 30 ans. Diagnostiqués trop tard, ils cumulent souffrance, stigmatisation, troubles somatiques mal ou pas pris en charge, éloignement de l’emploi, difficulté à accéder aux dispositifs sociaux. C’est toute une part de notre jeunesse qui s’efface silencieusement d’une société qui se croit attentive aux plus vulnérables.
Repenser une prise en charge longtemps à la pointe et aujourd’hui gravement à la peine
La crise de la psychiatrie n’est pas une question de moyens. La prise en charge de la maladie mentale constitue le premier poste de dépenses de l’Assurance-maladie, loin devant le cancer et les maladies cardio-vasculaires. La France est le troisième pays de l’OCDE en nombre de psychiatres et dispose à la fois de 50 000 lits d’hospitalisation et de dispositifs alternatifs très complets.
Aux racines de la crise, il y a une organisation des soins devenue inadaptée. Alors que la France a été en avance dans les années 1960 avec la sectorisation, nous ne parvenons pas à adapter notre dispositif aux besoins actuels des malades. Il y a une absence de diagnostic précoce malgré l’apport des Maisons des adolescents. Il y a l’absence de rôle pivot du médecin généraliste. Le malade entre dans la prise en charge par la crise. A cela s’ajoute une inégalité territoriale massive : le nombre de psychiatres pour 100 000 habitants varie du simple au quadruple selon les départements.
Les soins et les dispositifs d’accompagnement sociaux et médico-sociaux demeurent cloisonnés. Confrontées à un système incoordonné et à la gestion de situations d’urgence, les équipes soignantes, malgré la force de leur engagement, s’épuisent à la tâche. Les malades et leurs proches, quant à eux, sont rarement partie prenante de la prévention et des traitements, alors que le numérique offre des perspectives nouvelles.
Se redonner l’ambition de guérir
Troisième constat, le plus grave : nous perdons l’ambition collective de guérir les maladies mentales. Imperceptiblement, nous glissons d’une démarche de soins à une logique de prise en charge du handicap. Les chiffres sont sans appel : alors même qu’elle dispose d’équipes de très haut niveau, la France ne consacre que 4 % du budget de la recherche médicale à la psychiatrie, contre 16 % aux Etats-Unis. L’industrie pharmaceutique se désengage à un rythme accéléré d’un secteur où les besoins sont immenses.
Pourtant, jamais des progrès majeurs ouvrant vers la perspective de guérisons ne sont apparus plus proches. C’est le cas dans le domaine des biomarqueurs, de l’identification des vulnérabilités, notamment génétiques, ou du rôle des neuro-inflammations dans le déclenchement de certaines pathologies. Au plan local, des initiatives foisonnantes montrent les progrès que l’on peut tirer d’une coordination des acteurs, en termes de qualité des prises en charge et de maîtrise des dépenses.
Pour un plan national pour la santé mentale et la psychiatrie porté au plus haut niveau de l’Etat
Face à ces constats, un nouvel élan est indispensable pour mettre en œuvre une stratégie d’ensemble. Car, si les maladies mentales peuvent être plus complexes que d’autres, il ne saurait y avoir de malades moins égaux que d’autres dans la prévention, l’accès aux soins et les apports de la recherche.
Ce que la France a réussi depuis 2004 en matière de cancer, elle peut et doit le réaliser en matière de psychiatrie.
Par-delà les propositions qu’elle formule en matière de formation, de recherche, de soins, de mise en place d’une véritable « ordonnance de vie » pour les malades les plus lourds, d’organisation avec la création d’un Institut national pour la santé mentale et la psychiatrie, l’Académie nationale de médecine en appelle ainsi au président de la République, sous la protection duquel elle est placée.
Le progrès médical ne pourra donner en effet sa pleine mesure si la chape de plomb de la stigmatisation n’est pas renversée par un discours porté au plus haut niveau de l’Etat et si une volonté politique forte ne met pas en cohérence tous les acteurs autour d’objectifs partagés.
L’enjeu n’est pas seulement médical. Il s’agit pour la société tout entière de changer son regard sur la maladie, la différence et la souffrance. Y a-t-il cause plus urgente et plus mobilisatrice ?
Les signataires : Jean-François Allilaire, secrétaire perpétuel de l’Académie nationale de médecine, et Jean-Pierre Olié, Antoine Durrleman et Frédéric Salat-Baroux, membres de l’Académie nationale de médecine.
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