Manifestation à l’appel du collectif Inter-Urgences, à Paris, le 6 juin.
Photo Julien Muguet. Hans Lucas
Aux urgences de la cité bretonne, la situation ne s’est guère améliorée depuis le début de la grève, en janvier. Lits manquants, patients sur des brancards… Le personnel est épuisé par ces conditions de travail.
«C’est les urgences ! Faut être patient !» Dans la salle d’accueil passablement défraîchie du service des urgences de l’hôpital de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), une mère et sa fille, blessée au pied, se font une raison. Deux heures d’attente, après tout, ce n’est pas la mer à boire. Et une épreuve en tout cas plus supportable que les six à huit heures de délai de prise en charge lors de certains pics d’affluence. Un phénomène qui n’est pas rare durant la nuit ou même en fin de journée, avec les ambulances qui défilent devant l’accès réservé, le téléphone qui sonne en continu et un seul infirmier pour recevoir ce flux incessant. «L’autre nuit, avec la police, le Smur, les pompiers, en plus des personnes venues par leurs propres moyens, ça grouillait de partout, raconte Xavier, infirmier (1). J’ai été dépassé, j’ai cru que je n’allais pas y arriver, la peur de faire une connerie, le stress… Je me suis senti très mal. J’adore mon métier, mais depuis deux ou trois mois, avec tout ce qui se passe, je me sens au bout du bout.»
Problèmes de sous-effectifs, locaux vétustes aux aménagements défectueux, pénurie de matériel, notamment de pieds à perfusion : les maux du service des urgences de Saint-Malo ne font pas exception. Mais sans doute sont-ils plus aigus que dans d’autres établissements.
C’est en tout cas dans cet hôpital que, dès janvier, l’ensemble du personnel soignant des urgences s’est mis en grève, préfigurant ce qui allait devenir un mouvement national. Une grève musclée, avec défilés dans la ville bretonne accompagnés d’un cercueil recouvert d’un drap blanc, distributions de tracts et parades des infirmiers et aides-soignants dans le hall d’accueil de l’hôpital, travestis en patients arborant autour du cou des pancartes où l’on pouvait lire quelques exemples de situations critiques. A l’image de celle d’«Augustine, 83 ans» : « Mademoiselle, cela fait six heures que j’attends, j’ai mal aux fesses, je suis diabétique et je n’ai pas mangé.»
«Sentiment de honte»
«Le mouvement a été très éprouvant, raconte Emma, une infirmière de 49 ans. Car en dehors des piquets de grève, on continuait à travailler sur réquisition pour assurer le service minimum. En mars, un protocole d’accord a mis fin au mouvement. Mais depuis, à part la sécurisation du service et un infirmier supplémentaire, il ne s’est pas passé grand-chose. Cet été, j’ai vécu des situations que je n’avais jamais vues en vingt ans d’exercice. Avec des dizaines de personnes en attente, des gens qui ont passé la nuit dans les couloirs, sur des brancards. Avec la lumière, les allées et venues du personnel, les cris des personnes alcoolisées ou délirantes. Je viens au travail la boule au ventre, et j’ai de plus en plus un sentiment de honte vis-à-vis de notre prise en charge.»
Des malades installés sur des brancards «en double file» et jusque devant la porte des toilettes, d’autres dans des fauteuils faute de brancards suffisants, des aides-soignants et des infirmiers courant dans tous les sens en se frayant un chemin vaille que vaille, semblent des scènes de plus en plus fréquentes à Saint-Malo. «En juillet, une mamie a passé vingt-sept heures sur un brancard…» témoigne une aide-soignante.
«Plus le temps d’aller pisser»
A l’origine conçues pour accueillir quelque 20 000 patients par an, les urgences malouines en reçoivent aujourd’hui plus du double, sans que les effectifs - une douzaine de personnes pour assurer le service, dont deux médecins et trois internes - aient évolué. «J’ai changé de profession pour le contact humain, pouvoir parler avec les gens, raconte Lison, aide-soignante. Mais ça devient de l’abattage, on n’a plus le temps de discuter avec les patients ni d’échanger entre nous. On n’a même plus le temps d’aller pisser. Il faut avoir des oreilles partout et faire cinquante trucs à la fois. En rentrant à la maison, on se demande si on n’a pas fait une bêtise, si on n’a pas oublié quelque chose.»
Ces situations récurrentes, dues pour une bonne part à des locaux exigus et à un sous-effectif patent, sont aussi le résultat des dysfonctionnements plus généraux. Avec des services qui, passé une certaine heure, ne disposent souvent plus de lits pour répondre à la demande, obligeant les malades à patienter aux urgences.
«Les conditions de travail se sont considérablement dégradées depuis la mise en place de la tarification à l’acte et une politique qui a encouragé la médecine ambulatoire, conduisant à la suppression de lits disponibles la nuit, pointe David Vendé, délégué CGT. Les services de l’hôpital sont eux-mêmes souvent en sous-effectif, avec des personnes en arrêt de travail qui ne sont pas remplacées.» Les syndicats dénoncent également l’attitude de la direction qui, plutôt que de soutenir son personnel, lui ferait porter la responsabilité des problèmes. «Si un patient se plaint d’avoir passé la nuit aux urgences, elle met la pression sur les infirmiers et les aides-soignants, s’insurge Sébastien Bayaut du syndicat SUD. Pour la direction, ce ne sont que des problèmes d’organisation alors que les équipes se retrouvent quotidiennement confrontées à des situations potentiellement dramatiques.» Face à des conditions de travail toujours aussi mauvaises, le personnel de nuit a décidé le 2 septembre de reprendre la grève.
(1) Le prénom a été modifié.
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