Au foyer Bellevue de Châlons-en-Champagne, le 5 février 2017.
Photo Cyril Zannettacci pour Libération
Médecins sans frontières et Human Rights Watch publient chacun un rapport sur le traitement des mineurs non accompagnés en France. Et s'inquiètent que le système échoue à tous les prendre en charge.
Tout enfant a le droit d’être protégé, c’est le droit international qui le dit. En France, certains ne le sont cependant pas, d’après deux associations, Médecins sans frontières et Human Rights Watch (HRW), qui publient ces jours-ci deux rapports sur ceux que l’on appelle les «mineurs non accompagnés» ou «mineurs étrangers isolés». Ces quelques milliers de jeunes, très majoritairement des garçons, arrivés sur le territoire sans accompagnateur (parents, oncle ou tante, etc.), doivent être pris en charge par l’Etat… à condition que leur qualité de mineur soit reconnue.
C’est là que le bât blesse (ce qui n’est pas nouveau) : selon les rapports des deux organisations, le processus d’évaluation de l’âge, qui n’est pas harmonisé au niveau national, peut durer de nombreux mois, au cours desquels le jeune n’est pas forcément pris en charge par la collectivité. Or, durant cette période, des jeunes qui seront finalement reconnus mineurs, se trouvent dans un entre-deux qui rend leur survie périlleuse : ni mineurs ni majeurs, ils passent entre les mailles des dispositifs de santé ou d’hébergement qu’ils pourraient solliciter.
«Depuis l’ouverture du centre de Pantin [Seine-Saint-Denis, ndlr] en décembre 2017 [où sont pris en charge des jeunes étrangers en attente d’être reconnus ou non mineurs], nos équipes sont témoins au quotidien des nombreuses violations de l’accès aux soins, des entraves aux droits fondamentaux, des dysfonctionnements de prise en charge, des lacunes administratives, des failles juridiques, dont sont victimes ces mineurs», indique ainsi Corinne Torre, cheffe de mission France de Médecins sans frontières (MSF), qui a mis en place un réseau de familles pour accueillir ces jeunes en attendant qu’ils ne soient pris en charge, comme il se doit, par un département.
Sur le plan de la santé, la situation est kafkaïenne, selon MSF : parmi les jeunes interrogés dans son centre de Pantin, 87 % ont déclaré avoir subi des violences, tortures ou maltraitances lors de leur parcours migratoire. Il faut donc les prendre en charge sur le plan somatique comme psychologique. Or, n’étant pas officiellement mineurs, ils n’ont pas accès à la protection maladie universelle (Puma). Mais lorsqu’ils se présentent à l’hôpital ou chez le médecin, munis de leurs documents d’identité faisant mention de leur âge, on leur demande l’accord de leur représentant légal pour pratiquer un acte médical sur eux. «Seules les situations d’urgence permettent d’être dispensé de cette autorisation. En dehors de ces cas, les hôpitaux et centres de santé sont placés face à un dilemme […]. Comment soigner un jeune qui n’est "ni mineur ni majeur" ?», interroge encore MSF.
Sur le plan de l’hébergement, le tableau dressé par les associations n’est guère plus réjouissant : si, théoriquement, les jeunes demandant à être reconnus mineurs doivent être mis à l’abri par le département durant 5 jours, 13 % de ceux arrivés au centre de MSF à Pantin après avoir entamé une procédure de reconnaissance de minorité n’avaient été mis à l’abri à aucun moment, et près de la moitié (45,9 %) n’avaient été mise à l’abri par le département qu’une seule journée. Et 51 % des jeunes qui se sont présentés au centre avaient toujours vécu dans la rue depuis leur arrivée en France.
«Un tiers des jeunes affirment avoir des difficultés pour se nourrir, et près de la moitié dit n’avoir aucun soutien, ni matériel ni moral», ajoutent les auteures du rapport de MSF.
Pour être reconnu mineur, il faut toutefois d’abord pénétrer sur le territoire, ce qui n’est pas chose aisée, selon un rapport de HRW paru la semaine dernière : l’association «a recueilli neuf témoignages d’enfants qui nous ont dit avoir été sommairement renvoyés en Italie par la police aux frontières française», s’indigne-t-elle. HRW ajoute : «Nous avons aussi eu connaissance de six cas des lesquels la police aux frontières a accepté l’âge déclaré des enfants. Le cadre de ces décisions n’apparaît pas de manière évidente : certains des enfants acceptés par la police avaient des actes de naissance, d’autres non.»
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