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vendredi 13 septembre 2019

Le gouvernement veut encourager les alternatives à la prison, peu appliquées par les juges

Réunis mercredi au tribunal de Troyes, des responsables de la magistrature ont déploré la difficulté à mettre en œuvre la réforme des peines.
Par   Publié le 12 septembre 2019
Plus de douze mois de débats ont été nécessaires pour finaliser la loi de programmation et de réforme de la justice promulguée le 23 mars. Mais sa mise en œuvre est sans doute plus délicate encore. En particulier sur le volet concernant l’efficacité et le sens de la peine. Un enjeu capital pour Nicole Belloubet, ministre de la justice, au moment où les prisons débordent (71 710 détenus au 1er juillet), et pour le chef de l’Etat qui s’est engagé à réduire le niveau de surpopulation carcérale.
La hantise du gouvernement est que sa grande réforme de la justice fasse pschitt comme la contrainte pénale, la mesure phare de la réforme de Christiane Taubira, en 2014, très peu appliquée par les juges. C’est pourquoi toutes les directions centrales du ministère de la justice sont mobilisées pour encourager l’évolution des pratiques et des mentalités des juges, des procureurs et des services pénitentiaires.

Mercredi 11 septembre, une quinzaine de responsables de la direction des affaires criminelles et des grâces, de la direction de l’administration pénitentiaire, de l’inspection générale de la justice et du secrétariat général de la chancellerie, étaient ainsi au tribunal de grande instance de Troyes, une des onze juridictions pilotes sélectionnées pour mettre en œuvre la « régulation carcérale » voulue par la garde des sceaux. Une journée pour porter la bonne parole et observer les difficultés d’application de deux mesures entrées en vigueur dès le 1er juin : la généralisation de la libération sous contrainte aux deux tiers de la peine et le développement de l’assignation à résidence sous surveillance électronique pour limiter la détention provisoire avant jugement.

« Limiter la récidive »

« Jamais le panel des peines qu’un tribunal peut prononcer n’a été aussi large, mais jamais le panel des peines prononcées n’a été aussi classique », a lancé, à l’adresse des magistrats, tel un professeur principal, Sébastien Gallois, chef du service de l’expertise et de la modernisation au secrétariat général du ministère de la justice. Après avoir déjà visité sept autres juridictions dans le cadre de cette tournée pédagogique, il explique ce hiatus par deux failles : le manque d’informations du juge correctionnel sur la personnalité du prévenu, informations qui auraient permis une sanction plus individualisée, et le peu de retour que les juges ont sur la façon dont sont exécutées les peines qu’ils décident. Résultat, la prison reste la confortable référence en matière de sanction pénale.
« Nous allons devoir changer notre logiciel en matière de peine », reconnaît le procureur de la République de Troyes, Olivier Caracotch, selon qui « l’interdiction de paraître dans une ville pourrait être aussi efficace que la prison, si ce n’est plus, pour limiter la récidive » en matière de petit trafic de stupéfiants. L’objectif de la chancellerie n’est pas de vider les prisons, mais de se demander à chaque fois si c’est la sanction la plus adaptée.
De même, la libération sous contrainte, censée devenir la norme aux deux tiers d’une peine pour les personnes condamnées au maximum à cinq ans de prison, « devrait permettre de réguler la surpopulation carcérale, mais son objectif premier est d’éviter les sorties sèches, facteurs de récidive », insiste M. Gallois. Les critères d’attribution des libérations sous contrainte par le juge d’application des peines ont été considérablement élargis par la réforme, en particulier sur le projet de sortie dont la solidité n’est plus une condition. Cette sortie sous contrôle n’est plus la récompense d’une évolution favorable pendant la détention, mais la mise en place d’un contenu probatoire pour créer un sas après la prison.
Les juges d’application des peines et les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation s’inquiètent de la faisabilité d’un tel suivi pour des mesures de très courte durée. Sylvaine Gousse, qui prononce désormais des libérations sous contrainte à la maison d’arrêt de Troyes pour des personnes condamnées à des peines inférieures parfois à six mois, observe que le reliquat de la peine qui va être exécuté dehors est inférieur à deux mois, laissant peu de temps, au service pénitentiaire en milieu ouvert, de mettre en place un suivi. Pour l’heure, ce dernier parvient à assurer le premier rendez-vous obligatoire avec un conseiller moins de cinq jours après la sortie de prison, mais guère plus. Actuellement, trois des quatre antennes du service pénitentiaire d’insertion et de probation de l’Aube n’ont plus de directeur, tandis que le seul en place est un contractuel.

Révolution culturelle

« Nous pouvons néanmoins initier quelque chose avec la libération sous contrainte pour certains publics qui étaient exclus des aménagements de peine », se réjouit Gwenael Le Trepuec, juge d’application des peines. Il en a ainsi accordé une le matin même à un jeune sous tutelle atteint de troubles psychiatriques à qui la détention, émaillée de séjours en quartier d’isolement, n’apportait rien. Le juge a pu rencontrer les parents du jeune homme pour établir avec eux les rendez-vous à prendre pour le suivi de leur fils en liaison avec le tuteur de ce dernier.
L’autre inquiétude qui traverse cette assemblée de professionnels de l’application des peines est le risque de lynchage médiatique, en cas de récidive d’une personne sortie de prison avant terme. « En décidant que la libération sous contrainte devenait la norme, le législateur a pris sa part de responsabilité », a voulu rassurer un responsable du ministère avec un deuxième argument : « Le laisser sortir sans accompagnement aurait représenté un risque supérieur pour la société. »
Quant au bracelet électronique en cours d’information judiciaire, destiné aux personnes dont la détention provisoire n’est pas justifiée et le contrôle judiciaire insuffisant, l’objectif du ministère est de le sortir de son usage anecdotique. Aujourd’hui 291 personnes sont placées sous assignation à résidence sous surveillance électronique en France, quand plus de 21 000 sont en détention provisoire (29 % des détenus).
Mais la véritable révolution culturelle que devront opérer les magistrats correctionnels viendra avec la nouvelle échelle des peines qui entrera en vigueur en mars 2020 et la création de nouvelles sanctions comme la peine de détention à domicile sous surveillance électronique. Cette tournée n’est qu’un échauffement.

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