Selon un rapport annuel publié par plusieurs agences de l’ONU, un peu plus de 820 millions de personnes, soit 10,8 % de la population mondiale, étaient sous-alimentées en 2018.
C’est une urgence qui fait peu de bruit, mais s’aggrave, chaque année, un peu plus. La faim progresse alors que nous produisons en théorie de la nourriture en quantité suffisante pour les 7,7 milliards de Terriens. Selon le rapport annuel sur « L’état de la sécurité alimentaire dans le monde » (rapport SOFI), publié lundi 15 juillet par plusieurs agences des Nations unies (FAO, OMS, PAM, Unicef), un peu plus de 820 millions de personnes, soit 10,8 % de la population, étaient sous-alimentées en 2018. Un chiffre qui grimpe de façon continue depuis 2015, compromettant un peu plus l’objectif « faim zéro » d’ici à 2030 que s’est fixé la communauté internationale dans ses objectifs de développement durable.
Le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde a presque retrouvé son niveau d’il y a 10 ans. C’est sans aucun doute le plus grand défi que devra relever le prochain directeur de la FAO, le vice-ministre de l’agriculture chinois, Qu Dongyu, qui prendra ses fonctions début août en remplacement du Brésilien José Graziano da Silva. Mais c’est surtout une urgence qu’il ne pourra adresser sans la mobilisation de l’ensemble de la communauté internationale.
Dans le dernier rapport, la FAO a mis au point un nouvel indicateur, appelé de très longue date par la société civile, qui mesure « l’insécurité alimentaire ». Alors que la sous-alimentation est calculée selon un rapport calories-dépenses énergétiques, l’insécurité alimentaire est une notion plus vaste, faisant référence à l’accès régulier à une nourriture saine, équilibrée et nutritive.
Lorsque la sécurité alimentaire fait défaut, les personnes concernées font des compromis sur la qualité de leur alimentation, avec des conséquences en termes de carences nutritives, ou de surpoids et d’obésité. « Ce rapport montre que le problème est bien plus vaste que la seule question de la faim et que même des niveaux modérés d’insécurité alimentaire ont des effets de santé publique », analyse Cindy Holleman, économiste à la FAO et coautrice du rapport SOFI.
Conséquences de santé publique
Selon cette méthodologie et ces définitions, la FAO distingue deux niveaux d’insécurité alimentaire : l’insécurité alimentaire sévère, qui recoupe en grande partie la notion de faim, concerne 9,2 % de la population (un peu plus de 700 millions) ; l’insécurité alimentaire modérée, qui implique de faire des compromis sur la qualité de l’alimentation, affecte quant à elle 17,2 % des habitants, soit 1,3 milliard de personnes. En additionnant ces deux degrés, l’insécurité alimentaire touche 26,4 %, soit 2 milliards de personnes, qui n’ont pas accès à une alimentation saine et équilibrée.
Cette malnutrition peut prendre de nombreuses formes. Ce sont par exemple les femmes anémiées (un tiers de la population féminine en âge de procréer), dont les carences en fer font croître le risque de mortalité maternelle et entraînent également des retards de croissance chez les jeunes enfants. « Ce sont aussi les personnes contraintes de se tourner vers une alimentation bon marché et de moins bonne qualité, souvent trop grasse », explique Cindy Holleman.
« On voit ainsi de nombreux pays où se combinent sous-alimentation et surpoids et obésité », poursuit Mme Holleman. Ces deux derniers indices augmentent dans toutes les régions du monde, entraînant 4 millions de morts chaque année, alerte le rapport SOFI.
Paradoxalement, les principales victimes de la faim sont les populations paysannes, agriculteurs et travailleurs journaliers. Les trois quarts des personnes souffrant de la faim dans le monde vivent dans les zones rurales. C’est en Afrique que la situation est la plus alarmante, avec une hausse de la sous-alimentation dans presque toutes les sous-régions continentales. En Amérique latine et dans les Caraïbes, les taux augmentent également, avec une explosion au Venezuela due à l’instabilité économique et politique du pays. L’insécurité alimentaire touche par ailleurs tous les continents, y compris les pays les plus riches : 9 % des Européens et Nord-Américains étaient concernés en 2018.
Dans ses deux précédentes éditions, le rapport SOFI avait pointé du doigt le rôle des conflits armés et du dérèglement climatique dans la hausse de la malnutrition dans le monde. Cette année, le rapport s’intéresse à une troisième cause majeure d’insécurité alimentaire : les récessions et ralentissements économiques.
Aux racines de la faim et de la malnutrition, on trouve la pauvreté et les inégalités sociales. Les pays où la faim augmente le plus ne sont pas les plus pauvres, mais des pays à revenus moyens, très fortement dépendants des importations et exportations. Le rapport montre notamment que 54 % des pays où la sous-alimentation a augmenté ces dernières années sont des pays dépendants des marchés internationaux de matières premières, principalement alimentaires.
« C’est la première fois qu’une corrélation de cette ampleur est mise au jour, relève Valentin Brochard, chargé de plaidoyer pour l’ONG CCFD-Terre solidaire. C’est directement la conséquence des politiques menées depuis les années 1990 sur la spécialisation de certains pays sur des monocultures agricoles, comme le cacao en Côte d’Ivoire, le coton au Burkina Faso, l’huile de palme en Indonésie et en Malaisie, ou le soja et le maïs en Amérique latine. » En se spécialisant de la sorte, ces pays ont fragilisé leur structure économique, se trouvant beaucoup plus exposés à la volatilité des prix.
Conclusions très politiques
Selon l’association Oxfam International, qui publie de son côté un rapport sur« Les inégalités de genre et l’insécurité alimentaire », toutes les leçons n’ont pas été tirées de la crise de 2007-2008, où l’extrême volatilité des prix des denrées alimentaires avait conduit à des émeutes de la faim dans une trentaine de pays. « La réponse politique à cette crise a été de produire plus, explique Marc Cohen, chercheur à Oxfam et co-auteur de ce rapport. Cela a occulté les problèmes sociaux et politiques qui sous-tendent l’insécurité alimentaire, comme la discrimination liée au genre ou le poids prépondérant de certains acteurs de l’agroalimentaires sur les marchés de semences ou de produits phytosanitaires. »
Face à ce constat inquiétant, le rapport SOFI livre des conclusions très politiques, établissant clairement que l’insécurité alimentaire n’est pas due à une production insuffisante mais à un accès inégal à une nourriture saine. « On constate que les pays les plus concernés sont ceux où les inégalités économiques sont fortes et où les dépenses publiques ont chuté », poursuit Cindy Holleman.
Les agences onusiennes appellent donc les gouvernements à garantir un accès universel à la santé et à l’éducation pour tous et à mettre en œuvre des politiques pour réduire les inégalités sociales et économiques. « Il est clair que nous ne faisons pas assez pour combattre la malnutrition, dénonce l’économiste de la FAO. S’il n’y a pas une solution simple, les systèmes alimentaires doivent aider les plus vulnérables. Or, à l’heure actuelle, nous laissons des gens derrière nous. »
Les associations, elles, vont plus loin dans leurs préconisations, appelant à revoir le système d’échanges mondialisés : « On voit, à la lumière de ce rapport, que notre système agricole est plus porteur de maux que de solutions pour lutter contre la faim, plaide Valentin Brochard. Il faut reterritorialiser des systèmes agricoles durables, au service de la sécurité alimentaire, et structurés autour de la souveraineté des populations. »
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