Le palais de justice de Paris, dans le XVIIe arrondissement, de l'architecte Renzo Piano, en juin.Photo Ludovic Marin. AFP
Deux jeunes adultes, prosélytes sur la messagerie Telegram, comparaissaient vendredi pour «association de malfaiteurs en vue de commettre des actes terroristes». Des parcours où s'imbriquent la quête d'un absolu, le mal-être adolescent et la propagande islamiste.
Elle se cachait sur Telegram derrière l’avatar d’une lionne qui rugit derrière les barreaux. Janna C., à l’époque tout juste 18 ans, et Djelika S., administratrice d’une chaîne intitulée «Les lionnes» sur la messagerie cryptée, se pensaient ambassadrices du «jihad au féminin». Vendredi, elles ont comparu devant le tribunal correctionnel de Paris pour «association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes terroristes». Durant un procès long de plus de dix heures, les juges sont revenus sur l’itinéraire des deux jeunes filles radicalisées, entre souffrance et aspiration à la violence.
«Je veux tuer tous ces kouffars, mourir en martyr et emmener 70 personnes avec moi.» Il y a trois ans, Janna C. lâchait ces mots alors qu’elle discutait avec son père et sa petite sœur, L. Ce vendredi, à 14 heures, elle se présente dans le box des prévenues, vêtue d’un sweat qui rappellerait presque les couleurs du drapeau français. Son attitude, loin de rappeler l’animal rugissant, dont le symbole est repris par la propagande de l’Etat islamique (EI), dessine une jeune fille vulnérable qui n’a de cesse de chercher sa mère du regard, mais qui verse volontiers dans la provocation. À ses côtés, Djelika S., son amie virtuelle, chétive, avec son chignon relevé et ses boucles d’oreilles en forme de perles, est plus discrète.
Attaque à la «ceinture Vuitton»
Le 10 août 2016, Janna C. est arrêtée et mise en examen à Clermont-Ferrand, alors que la DGSI la soupçonnait de préparer un attentat. La jeune fille faisait l’objet d’une surveillance par les services de renseignement à cause de ses liens avec une mineure Y., autre «lionne», interpellée quelques jours auparavant. Dans leur groupe Telegram, intitulé «Partir en vacances», les deux adolescentes échangeaient sur leur souhait de rejoindre le «Sham», mais aussi de commettre une action terroriste sur le sol français, à la ceinture «Louis Vuitton», comprendre ceinture explosive. Le 9 août, veille du coup de filet, Janna C. alarme les policiers de Levallois-Perret en postant sur Snapchat ce qui ressemble à des adieux : «Par amour pour Allah je suis prête à partir sur le trône du Tout-Puissant en martyr». Puis : «A ceux que j’aime d’un amour fraternel, rendez-vous dans le paradis éternel».
Lors de la fouille, les enquêteurs découvrent dans le portable de Janna C. la vidéo d’un individu montrant comment égorger sa victime, des audios des frères Clain, ainsi qu’une photo de Paris en sang avec pour légende «faites exploser Paris, faites exploser la France». Et parmi ses dernières recherches internet : «combien peut durer une garde à vue pour apologie du terrorisme», «TATP», «comment fabriquer un gilet explosif», «attentat St-Denis, femme kamikaze morte».
Tout comme Djelika, qui se présentait comme «salafiste jihadiste», et qui gardait toujours des écrits dans son soutien-gorge, Janna C. avait prêté allégeance à l’Etat islamique. A l’époque, la France est frappée par une vague d’attentats, comme à Nice le 14-Juillet, puis l’assassinat du prêtre à Saint-Etienne-de-Rouvray le 26 juillet. Ce climat d’appel au meurtre était notamment entretenu par l’assise idéologique de certains leaders, tel que Rachid Kassim, un jihadiste roannais parti rejoindre le «Sham», et qui appelait ses disciples à commettre des tueries de masses en France, via sa chaîne Telegram «Sabre et Lumière». Un appel entendu par la jeune clermontoise, abonnée à cette chaîne, et qui vivait à l’époque recluse et sous l’emprise des réseaux sociaux. Dans ses abonnements, figure aussi le canal «Rejoins la caravane» réservé aux femmes et animé par des aspirantes se trouvant en Syrie. Elles y racontaient leur vie sur zone, ainsi qu’un éloge des combattants et un récit des exécutions et des butins issus des batailles. «J’étais dans mon délire. Je ne pensais qu’à ça. Je ne faisais que ça. Tout me paraissait banal». Janna C. dit s’être sentie investie d’un rôle de «recruteuse». A l’époque, elle cherche des «sœurs», met en relation des individus isolés, et tente de convaincre Y., alors mineure, «d’ouvrir la marche», que «les autres suivront». A sa jeune soeur biologique, elle envoie des photos de décapitation, accompagné d’un «c’est beau».
«Partager leurs peines»
Mais l’extrême violence de ces propos contraste avec la vulnérabilité dont Janna C. et Djelika S. font preuve à la barre. La première est décrite par son entourage comme une «jeune fille en perdition», tandis que Djelika évoque des tendances dépressives et des accès suicidaires. Toutes deux reconnaissent avoir adhéré à ces communautés virtuelles pour trouver du réconfort, de l’entraide. Si elles admettent vouloir à l’époque «venger la Syrie de la communauté internationale», elles cherchaient aussi à «partager leurs peines», «parler de tout et de rien». Justifiant son intention de partir en Syrie pour retrouver son mari, Djelika S., des sanglots dans la voix, confesse avoir «toujours voulu se marier pour avoir une épaule forte» à ses côtés. Janna C., elle, oscillant entre provocation et appel à l’aide, admet avoir recherché dans la radicalité le cadre structurant qu’elle n’a jamais trouvé au sein de sa famille.
Pour la procureure, si «les deux prévenues ont trouvé dans le jihadisme-suicide le moyen d’exprimer un mal-être profond», elles n’en sont pas pour autant «moins dangereuses et moins déterminées» avertit-elle. D’autant plus que leur caractère fragile en fait toujours «des proies idéales pour l’EI». De là à passer à l’acte, au-delà des «paroles en l’air», des «banalités», certes glaçantes, semées sur Telegram ? A l’époque, Janna C. ne «savait pas» ce dont elle était capable. Une réponse inchangée depuis.
Quoi qu’il en soit, pour son avocat Simon Clemenceau : «il n’y a pas de cible, pas d’organisation, pas de facture, pas la moindre preuve matérielle». Avec sa consœur, Olivia Ronen, chargée de la défense de Djelika S., ils interpellent le tribunal : «Qu’a-t-on, au final, dans ce dossier ? Uniquement des conversations, des recherches internet. Une idée d’attentat, des velléités de départ, mais c’est un peu léger pour qualifier cela de projet d’attaque.» Une appréciation que ne partage pas la procureure, qui requiert dix ans de prison contre Janna C. et huit contre Djelika S., avec des périodes de sûreté des deux tiers, suivies de leur inscription au fichier des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT).
En détention provisoire, Janna C. a inscrit le mot «martyr»dans le sable de la cour. Il y a peu, elle menaçait encore les surveillantes pénitentiaires : «je vais te bomber.» Devant le tribunal, elle clame pourtant avoir changé : «Maintenant, je suis certaine que je ne commettrai pas un attentat.» Et acquiesce à la question des magistrats, à savoir : «N’était-ce qu’une forme de provocation ?» Le jugement sera rendu le 7 août.
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