Lille, le 6 novembre. Manifestation des assistants socio-éducatifs, contre le manque de moyens et de places dans les familles d'accueil et les foyers. Photo Antoine Bruy. Tendance Floue
Depuis la création du Samu social en 1993, la question des hébergements et la façon d’accompagner les personnes vers une insertion n'ont pas été repensées, ni adaptées aux conditions actuelles.
Tribune. Aujourd’hui, en France, des familles dorment à la rue. A Paris, des hommes, mais aussi des femmes enceintes, des mères et des enfants en bas âge dorment le long du périphérique parce que l’Etat abandonne à leur sort ces familles migrantes ou réfugiées dans des campements de fortune inhumains et indignes. Des enfants dorment également dans les recoins des gares, de parkings ou des hôpitaux, parce que le Samu social ne peut leur proposer aucun hébergement. Submergé par les appels, le numéro d’urgence pour les sans-abris arrive à peine à répondre à moins de 20% des appelants. Le 9 juillet, 492 familles ont réussi à joindre le 115. Seulement 38 ont eu un hébergement. Le 10 juillet après-midi, plus de 100 personnes en famille avec la moitié d’enfants dont deux handicapés et une maman en chaise roulante se sont installées devant le centre social Rosa Park (19e) en attendant une solution d’hébergement qui incombe à l’Etat et finalement n’arrivera que le surlendemain.
On tire souvent la sonnette d’alarme à l’approche des grands froids de l’hiver et l’Etat ouvre des centres d’hébergement provisoires qu’il referme au fur et à mesure des beaux jours, mais la situation actuelle justifie de pousser un grand cri pour réveiller les consciences au plus haut niveau de l’Etat : des enfants dorment à la rue !
Les maraudes, les travailleurs sociaux, les associations de solidarité alertent tous sur la saturation d’un système qui ne parvient plus à faire face à l’urgence. Avec la maire de Paris nous nous rendons chaque semaine sur les campements du Nord-Est parisien pour interpeller l’Etat sur ces situations odieuses et nous mettons de nombreux locaux municipaux à disposition des associations de solidarité et de l’Etat. Mais cela ne suffit visiblement pas alors que plus de 23 000 places d’hébergement sont ouvertes et occupées dans Paris.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Dans les années 2000, les équipes de maraude du Samu social ont rencontré les premières familles venues de province ou de l’étranger. Le dispositif d’hébergement d’urgence n’étant pas adapté à l’accueil de familles avec enfants, l’Etat a demandé au Samu social de réserver des chambres d’hôtel pour mettre à l’abri en urgence ces familles. Aujourd’hui, en Ile-de-France, environ 40 000 personnes en familles, dont 20 000 enfants, sont logées au long cours dans ces hôtels.
Le système est en panne !
L’urgence l’a emporté sur une vraie politique publique d’accueil et d’insertion. Les gouvernements successifs ont laissé s’entasser ces familles sans les accompagner, sans traiter leurs problématiques de santé, d’éducation, d’accès aux droits et au travail. Peu d’entre elles ont été régularisées alors même que leurs enfants sont nés et scolarisés en France, ce qui revient à leur dénier la possibilité de s’en sortir et compromet l’avenir de ces enfants.
Et finalement, toute cette politique de l’urgence a fini par saturer un système qui était malgré tout pour trop de familles le dernier rempart contre la rue.
En fait, depuis la création du Samu social en 1993, personne ne s’est vraiment posé pour réfléchir à l’évolution des dispositifs d’hébergement d’urgence et à la meilleure façon d’accompagner chaque personne vers une insertion bien légitime.
En 2015, l’arrivée des flux de migrants venus chercher refuge en France a achevé d’emboliser le système, le dispositif national d’asile étant insuffisamment calibré pour les accueillir. Face à ces nouveaux arrivants, ce n’est pas une politique d’intégration qui a prévalu mais une politique d’exclusion notamment envers les «dublinés» qui ont pour seul tort d’avoir laissé leurs empreintes dans un autre pays et aussi envers les déboutés du droit d’asile.
Aujourd’hui la seule perspective de l’Etat pour fluidifier le dispositif d’hébergement d’urgence est, selon une circulaire parue le 9 juillet, d’imposer au Samu social qui gère le 115 et le SIAO (service intégré de l’accueil et de l’orientation) de transférer chaque mois les listes des demandeurs d’asile et réfugiés qu’il héberge, à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) qui relève du ministère de l’intérieur afin que ce dernier puisse trier les migrants. Que le ministère de l’intérieur mette en place une politique de lutte contre l’immigration, soit, c’est son rôle. Mais que le Samu social, dont la mission est le traitement de l’urgence sociale, soit utilisé pour appliquer cette politique, c’est une profonde erreur que je dénonce ! L’ensemble du monde associatif dénonce également cette circulaire qui est antinomique à ses missions d’accueil et d’accompagnement des plus vulnérables.
Au lieu de vouloir passer en force, l’Etat doit comprendre qu’il y a urgence à se mettre autour de la table pour travailler ensemble à l’élaboration d’une approche constructive de ces phénomènes d’exclusion et de migrations qui aujourd’hui s’entrecroisent et sont le lot de toutes les métropoles du monde. C’est ce à quoi s’emploie, à son échelle et dans la limite de ses compétences, la Ville de Paris depuis plus de cinq ans. Mais elle ne pourra pas le faire seule et il est temps que l’Etat assume pleinement ses responsabilités.
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