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vendredi 19 juillet 2019

Le cerveau des meurtriers sous la loupe des neurosciences

Une étude en imagerie chez des détenus suggère un déficit de matière grise dans le cerveau des auteurs d’homicide. Des résultats à interpréter avec précaution.
Par   Publié le 17 juillet 2019
IRM cérébrale.
IRM cérébrale. ANDREWBROOKES / CULTURA CREATIVE / AFP
« Ce n’est pas moi, c’est mon cerveau ! » Depuis quelques années, ce singulier plaidoyer retentit dans les prétoires. Avec un enjeu capital, au sens propre du terme. Brandi par la défense, l’argument a déjà sauvé la tête de personnes accusées de crimes violents, aux Etats-Unis. A l’inverse, il lui est arrivé d’alourdir des peines d’emprisonnement. Une arme à double tranchant.

Imaginez : un homme est accusé d’un meurtre avec préméditation. L’examen de son cerveau révèle, grâce à l’imagerie cérébrale, une variation de la « norme », en matière d’anatomie ou de fonctionnement. La découverte soulève un flot de questions, mêlant neurosciences et psychiatrie, philosophie et éthique. Qu’est-ce que « la norme », en matière de santé ou de psyché humaine ? Vieux serpent de mer. Et puis, ces « déviations de la norme », dans le cerveau d’un criminel, peuvent-elles influencer le verdict ? Si oui, dans quel sens ? Pour atténuer la responsabilité de l’accusé ? Ou pour souligner sa dangerosité ?
L’étude publiée le 5 juillet, dans la revue Brain Imaging and Behavior, offre un nouvel éclairage sur ces questions sensibles. « Pour la première fois, [nous montrons] l’existence d’anomalies cérébrales qui distinguent les meurtriers des auteurs d’agressions violentes ou d’actes antisociaux non violents », résument les auteurs, des chercheurs de l’université d’Albuquerque (Nouveau-Mexique), ainsi que le professeur Jean Decety, de l’université de Chicago (Illinois).
Ce travail a été mené aux Etats-Unis dans des prisons du Nouveau-Mexique et du Wisconsin. Après avoir obtenu l’autorisation des gouverneurs de ces Etats et le consentement écrit de chaque participant, les auteurs ont examiné les cerveaux de 808 détenus, à l’aide d’un appareil mobile d’imagerie par résonance magnétique (IRM) anatomique.

Régulation des émotions

Ils ont comparé trois groupes d’hommes, âgés en moyenne de 33 à 34 ans. Parmi eux, 203 avaient perpétré un homicide ; 475 avaient commis d’autres actes violents (coups et blessures volontaires, vols à main armée, violences domestiques, kidnapping…) ; et 130 étaient les auteurs de délits (possession ou trafic de drogue, conduite sous l’emprise d’alcool ou de drogues, trafic d’armes, possession de matériels pédopornographiques, fraudes, vols, proxénétisme…).
Verdict : le cerveau des auteurs d’homicides, comparés à ceux des deux autres groupes, présentaient des déficits notables en « matière grise » (un tissu cérébral riche en neurones). Cela, dans de nombreuses régions du cortex qui jouent un rôle clé dans la prise de décision, le contrôle du comportement, la régulation des émotions et l’inhibition des réactions impulsives. Les deux autres groupes de détenus ne présentaient pas de différences entre eux.
« La grande originalité de cette étude, c’est d’avoir séparé, parmi les détenus, les meurtriers des auteurs d’autres actes violents ou moins violents, salue Stéphane De Brito, chercheur en psychologie à l’université de Birmingham (Royaume­-Uni). Et sa force, c’est la taille de l’échantillon analysé. »
Autre originalité : « Nous avons volontairement exclu de notre analyse les détenus souffrant d’un désordre neurologique ou psychiatrique avéré », souligne Jean Decety. Par exemple, ceux qui avaient subi un traumatisme crânien ou reçu un diagnostic de schizophrénie n’ont pas participé. Au passage, l’étude a le mérite de démonter l’amalgame trop fréquent entre schizophrénie et passage à l’acte criminel.

« Altérations »

Les chercheurs ont pris soin de contrôler plusieurs biais potentiels. Ils ont vérifié l’absence de différences significatives, entre les trois groupes, dans l’usage de drogues et dans les valeurs moyennes de Q.I. ou du score de « psychopathie » (un trouble de la personnalité, marqué par des comportements antisociaux, un manque d’empathie et de remords).
Le Q.I. moyen des meurtriers (96,4) était cependant un peu plus faible que celui des auteurs d’autres violences (98) ou de délits (99,3), des différences statistiquement non significatives. La durée de leur détention au moment de l’étude variait de 1,4 an (détenus peu violents) à 2,8 ans (auteurs d’homicides).
Cette étude « très intéressante » livre deux messages importants, selon Mathieu Lacambre, psychiatre au CHU de Montpellier. « Tout d’abord, il n’existe pas “d’aire cérébrale du meurtre”, de même qu’il n’existe pas de “gène du crime”. Mais l’étude révèle, dans le cerveau des meurtriers, des altérations qui touchent des circuits importants dans la gestion des interactions sociales et dans le contrôle des émotions et de l’action. »
Par ailleurs, souligne le psychiatre, « les déficits de matière grise observés ici sont analogues à ceux que l’on retrouve chez des personnes victimes de maltraitances ou de négligences précoces. » Attention, alerte-t-il, au mésusage qui pourrait être fait d’un tel rapprochement. Pas question de s’aventurer à vouloir identifier – et stigmatiser – dès l’enfance les individus prétendument à risque de passage à l’acte violent à l’âge adulte. « Un lien statistique ne signifie pas un lien de causalité ! » Fort heureusement, tous les enfants ayant subi des sévices ou des carences affectives précoces ne deviendront pas des criminels, tant s’en faut !

La question de la causalité reste problématique

« En revanche, insiste Mathieu Lacambre, cette étude ne peut qu’inciter à renforcer la prévention des violences et des traumatismes chez l’enfant. » Parmi les enfants maltraités, les anomalies neuroanatomiques et neurobiologiques constatées« sont extrêmement hétérogènes », ajoute la professeure Diane Purper-Ouakil, pédopsychiatre au CHU de Montpellier. Là encore, la question de la causalité reste problématique, faute d’études longitudinales.
Cette étude a bien sûr ses limites. Ainsi, Stéphane De Brito et Diane Purper-Ouakile regrettent qu’elle n’ait pas inclus de groupe contrôle constitué de personnes n’ayant jamais commis d’infractions. Par ailleurs, « les auteurs ne font pas le distinguo entre ceux qui ont tué de façon intentionnelle, préméditée, et ceux qui ont tué à la suite d’une réaction impulsive, désinhibée », souligne Richard Lévy, neuroscientifique à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (Inserm, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris).
Et puis, ce travail reste descriptif. Il ne s’inscrit pas dans un modèle de développement psychopathologique de la violence, relève Richard Lévy. « De nombreux travaux ont montré que la violence se développe souvent dans un contexte familial donné (père violent, mère indifférente), associé à des profils génétiques qui affectent notamment la fabrication de certains neurotransmetteurs (comme la sérotonine), d’où un risque élevé d’impulsivité. »
De fait, l’étude laisse grande ouverte cette question cruciale : quelles peuvent être les causes de ces déficits de matière grise, chez les meurtriers ? « Il faudrait une étude longitudinale pour répondre », admet Jean Decety. Mais comment retracer, de façon rétrospective, l’évolution du cerveau de ces personnes, depuis l’enfance ? Bien sûr, insiste le neuroscientifique, « un déficit anatomique de certaines régions cérébrales ne peut être la cause unique de ces comportements violents. Personne ne soutiendrait une telle vue simpliste. »

« Circonstances atténuantes »

Quelle pourrait être la retombée concrète de ce travail, en matière judiciaire ?« J’espère que les juristes vont examiner nos résultats, estime Jean Decety. Les déficits que nous observons dans le cerveau des meurtriers pourraient être considérés comme des circonstances atténuantes dans des procès où la peine de mort est en jeu », outre-Atlantique.
Aux Etats-Unis, la Cour suprême et des juridictions inférieures ont déjà exprimé des réserves expresses sur le fait de condamner à mort des criminels porteurs d’anomalies cérébrales.
« Certains pensent que le cerveau des meurtriers ne peut changer et qu’il faut donc les incarcérer à vie, ajoute Jean Decety. Mais il souligne l’étonnante plasticité du cerveau humain. Chez les auteurs d’homicides, nous pourrions développer des thérapies cognitives pour mieux prévenir ces violences. »

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