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lundi 15 juillet 2019

Attentat de Nice : le traumatisme des enfants

La Fondation Lenval, au CHU de Nice, a lancé il y a un an et demi une étude inédite en Europe sur les séquelles psychiatriques chez les enfants présents lors de l’attentat du 14 juillet 2016.
Par   Publié le 14 juillet 2019
Sur la promenade des Anglais, à Nice, le 16 juillet 2016, deux jours après l’attentat.
Sur la promenade des Anglais, à Nice, le 16 juillet 2016, deux jours après l’attentat. ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
De la fenêtre du septième étage de l’hôpital Lenval pour enfants, à Nice, on pourrait ne voir que la mer. La mer à perte de vue. Mais, en s’approchant des vitres, on aperçoit aussi la « Prom », comme l’on surnomme ici la promenade des Anglais, ainsi que le chemin qu’a emprunté Mohamed Lahouaiej Bouhlel avec son 19-tonnes pour entamer sa course folle, le 14 juillet 2016. Bilan de cet attentat : 86 morts, 458 blessés et des centaines de familles traumatisées.
Dans la salle d’attente, un ado avec ses écouteurs dans les oreilles tourne en rond et finit par sortir prendre l’air. Les espaces confinés l’angoissent. Une petite fille, d’habitude mutique, se met à hurler quand sa mère tente d’aller aux toilettes.
C’est ici, parmi les Playmobil de pompiers et de policiers, que se déroule depuis un an et demi une étude épidémiologique inédite en Europe : un programme de recherche baptisé « 14-7 », pour étudier les incidences et l’évolution des troubles psychiatriques chez les enfants présents lors de l’attentat.

Sur les 378 enfants suivis, plus de 60 % souffrent de symptômes liés au stress post-traumatique
Les résultats provisoires sont édifiants : sur les 378 enfants suivis, plus de 60 % souffrent de symptômes liés au stress post-traumatique. Chez les plus jeunes, plus de la moitié ont développé des phobies et des troubles du sommeil. Pour les plus âgés, il s’agit plutôt de pathologies nerveuses : tics, panique, anxiété de séparation…
Jamais autant d’enfants n’avaient été frappés par une attaque terroriste en France. « La population pédiatrique touchée, la violence de l’attaque, avec l’intention de tuer, dans un pays en paix, a rendu la situation inédite », explique la professeure Florence Askenazy, responsable du programmeLa recherche porte également sur des prélèvements salivaires afin d’observer des modifications au niveau de l’expression des gènes. Et, fait complètement inédit, elle se penche aussi sur les séquelles subies par les enfants des femmes qui étaient enceintes ce soir-là.

« Ils étaient tout le temps tristes, ils avaient changé »

Le service pédopsychiatrie de Lenval gérait déjà de nombreux traumatismes : enfants de djihadistes rentrant de Syrie, témoins de meurtres, victimes de violences sexuelles… Mais l’afflux de nouveaux patients après le 14 juillet 2016 a submergé le service.
Un parcours de soins spécifique a progressivement été mis en place. Puis est venu le premier centre d’évaluation.
« On voyait des choses qui n’avaient jamais été écrites dans la littérature scientifique », explique Michèle Battista, pédopsychiatre dans le service. « On ne trouvait presque rien sur les enfants de moins de 6 ans, ça commençait à 10 ans. Comme si, avant 6 ans, ne pouvant pas parler, ils ne pensaient pas », explique-t-elle. « Dans les années 1980, on commençait tout juste à parler du fait que les bébés ressentaient la douleur, et qu’il fallait les anesthésier, se souvient la médecin. Après le 14-Juillet, j’ai eu l’impression que c’était la même chose côté psy. »
« Il arrive souvent qu’une mère vienne pour son enfant, et qu’elle s’effondre en plein milieu de la consultation », explique Morgane Gint, psychologue
Cette étude permet aussi, sous couvert de projet scientifique, de ramener vers les soins ceux qui ont disparu après leur première consultation dans les cellules d’urgence médico-psychiatrique (CUMP), explique Morgane Gint, psychologue du programme « 14-7 ».
D’autant que des parents qui confient parfois leurs enfants aux équipes sont parfois eux-mêmes en détresse. « Il arrive souvent qu’une mère vienne pour son enfant, et qu’elle s’effondre en plein milieu de la consultation », explique-t-elle. La prise en charge des parents est essentielle, pour éviter toute transmission à l’enfant.
Ornella Zanca, 15 ans, a évité le camion de peu avec sa mère et son beau-père. Ce dernier est un ancien pompier et a tenté, avec sa femme, de venir en aide aux victimes. La jeune fille, alors âgée de 12 ans, est restée seule sur la plage pendant près de quatre heures, terrifiée. Après les événements, « ils étaient tout le temps tristes, ils avaient changé », dit-elle. « Je n’avais qu’une seule idée en tête, c’était de leur rendre le sourire. Mais je n’arrivais plus à prendre ma mère dans les bras et lui dire que je l’aimais. C’était juste une femme qui habitait dans ma maison que je devais guérir. »

« Pour Noël, je veux un camion »

Aux repas de famille, on questionne beaucoup les parents sur leur état. Jamais Ornella. Jusqu’à un jour d’octobre 2016 où la jeune ado débarrasse la table pendant un reportage de BFM sur les attentats. Ornella « pète un plomb » et casse toute la vaisselle. « C’est à ce moment-là que ma maman m’a amenée à Lenval », explique-t-elle. Aujourd’hui, elle a retrouvé le sommeil, a moins de crises d’angoisse, et a même obtenu une mention au brevet.
Louise, elle, n’avait que 1 an le soir de l’attentat. Sa mère, Eva M., 38 ans, se trouvait à 50 mètres du Bataclan le 13 novembre 2015. Le couple, éprouvé, avait fini par déménager à Nice. Le soir du 14-Juillet, Eva pousse sa fille dans sa poussette sur le terre-plein et se jette sur le côté. Deux ans plus tard, Louise ne dort plus, sursaute à chaque bruit, ne joue pas avec les autres. Quand elle arrive à Lenval, la première phrase qu’elle prononce, c’est : « Pour Noël, je veux un camion. » Mais le suivi l’a « métamorphosée », assure Eva.
D’autres progressent plus lentement. Alissa, 13 ans, Ana, 10 ans, et Sindi Ademi, 9 ans, « ne sortent plus du tout », raconte leur père, Altin Ademi, 47 ans. Les sœurs font des cauchemars après avoir vu « trop de cadavres ». Ana rêve de zombies, et n’arrive plus à lire ou à écrire. « Elle a fait un blocage », explique Iris, leur mère, 38 ans, des larmes dans la voix. Le couple s’est séparé depuis, « à cause des attaques », assurent leurs enfants.

Adam se tape la tête par terre

Fatima Bertot, 47 ans, raconte d’autres soucis. Elle lutte contre le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme. Elle était présente avec ses deux fils sur la Prom ; elle et son aîné ont été reconnus comme victimes. Le plus jeune, lui, ne l’est pas.
« J’ai fait l’erreur, dans mon PV d’audition, 48 heures après, sous le choc, de dire que je pensais que sa trisomie l’avait protégé », raconte Fatima. Trois ans plus tard, Eylan, 6 ans, ne dort plus la nuit et ne supporte plus le bruit. « Aujourd’hui, ils utilisent ça pour éviter de le reconnaître, alors qu’il était dans la poussette avec nous », sanglote-t-elle. Le Fonds, lui, assure que le certificat médical établi en septembre 2017 ne permet pas dans l’état d’établir un syndrome de stress post-traumatique.
Beaucoup de parents, notamment les mères, évoquent leur solitude face aux institutions, aux profs, aux médecins. Asmae Bensoltane, 32 ans, était ce 14-Juillet avec ses deux enfants : Aya et Adam, 3 ans et 4 ans. Aya a été légèrement heurtée par le camion. Depuis, ils se cachent dès qu’ils entendent le bruit d’un aspirateur, refusent de dormir seuls et de parler aux adultes. Adam se tape la tête par terre.
Pendant un an, sa mère n’a pas pu le toucher. « Une infirmière m’a dit, une fois : il n’est pas traumatisé, il est juste mal élevé, raconte la maman, épuisée. A l’école, c’est pareil, on me fait des reproches devant tous les autres parents. »
Des réactions qui ne surprennent pas les membres de l’équipe. « Tout cela est tellement difficile que la société a envie de croire que c’est la résilience, surtout chez les enfants, qui va prendre le pas très vite. Mais j’invite les décideurs à venir voir ce qu’il se passe », plaide la professeure Askenazy, dont l’étude dépend pour l’instant de fonds privés.

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