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lundi 15 juillet 2019

Le point de vue du Dr Laurent Layet Pour évaluer la dangerosité d’un individu les méthodes diffèrent



24.06.2019




  • Dr Layet
Crédit Photo : DR

La pratique psychiatrique actuelle implique désormais la gestion du risque. Dans la tribune qui suit, cet expert insiste sur la difficulté de l'évaluation. Et il prévient : « Cette dimension peut conduire à̀ des dérives sécuritaires par crainte de poursuite.

Au fil des années la psychiatrie a glissé de l’évaluation du risque (qui sous-tend une probabilité́ faible) vers celle du danger (qui définit ce qui menace et compromet la sûreté́ avec une probabilité́ élevée) vers la notion de dangerosité́, terme beaucoup plus flou qui renvoie à la notion de prédiction aléatoire sous-tendue par l’utopie du risque zéro. Bien que n’ayant pas de définition juridique, cette notion infiltre l’exercice médical et interpelle la responsabilité́ du psychiatre. La définition de la dangerosité́ de Benezech éclaire cette notion : « Etat, situation ou action dans lesquels une personne ou un groupe de personnes font courir à autrui ou aux biens un risque important de violence, de dommage ou de destruction. »

Dangerosité psychiatrique et dangerosité crimininologique
La distinction dangerosité́ psychiatrique/dangerosité́ criminologique reste d’actualité́ même si dans la plupart des situations médico-légales un individu peut présenter des critères mixtes de dangerosité́.
La dangerosité́ psychiatrique recouvre le risque de passage à̀ l’acte lié à̀ un trouble mental. Elle répond à̀ un certain nombre de critères bien connus. Si l’on prend comme exemple la dangerosité du schizophrène, on peut mettre en avant 11 facteurs : Les états aigus (accès inaugural ou décompensation) ; les troubles du comportement associés avec des antécédents de passages à l’acte ; la présence d’hallucinations et surtout d’injonctions hallucinatoires ; la présence d’un syndrome dissociatif franc ; la thématique délirante de persécution ou de mégalomanie ; le passage à l’acte qui est pensé, évoqué, ébauché; l'agitation psychomotrice qui peut aller de la simple agitation jusqu’à la fureur ; le vécu émotionnel et affectif du délire et des perturbations psychiques ; les troubles de la conscience qui peuvent aller de la stupeur jusqu’aux états oniroïdes ; la conviction absolue dans le délire, l’absence d’élaboration critique ; la réticence ou la non-compliance aux soins.
L’évaluation de la dangerosité́ criminologique s’avère plus délicate. D’une part, elle recouvre un champ beaucoup plus large que la dangerosité́ psychiatrique puisqu’elle inclut notamment des indices psychologiques, sociaux, familiaux et professionnels. D’autre part, elle implique une dimension pronostique liée au risque de commettre une nouvelle infraction. Son appréciation est donc pluridisciplinaire et dynamique car elle évolue dans le temps en fonction de tous ces facteurs. Selon C. Debuyst c’est : « un phénomène psychosocial caractérisé́ par les indices révélateurs de la grande probabilité́ de commettre une infraction contre les personnes et les biens ». Le risque est ici juridique, qualifié par le droit pénal avec pour objet la prévention de la récidive.
Lecture clinique, éléments statistiques ou échelles semi-structurées
Pour évaluer la dangerosité d’un individu les méthodes diffèrent. Certains praticiens défendent une lecture uniquement clinique non structurée au travers d’un simple entretien. Dans la pratique expertale notamment, cette approche essuie de vives critiques. Les études dans ce domaine pointent une faible concordance inter-juges (environ 20 % d’un expert à l’autre) et surtout une mésestimation du risque avec souvent la notion retrouvée de « risque existant » sans précision.
Plus récemment, les échelles actuarielles issues de la recherche en criminologie basées sur des éléments statistiques se sont développées. Construites à partir des données de la littérature, elles prennent en compte : la violence passée ; les éléments renforçateurs de violence ; les stimuli capables de déclencher la violence.
Cette pratique correspond à̀ une prédiction statistique du risque par démarche purement algorithmique, reproductible en cas de changement d’évaluateur. Cet évaluateur n’a pas besoin d’être un clinicien. Elles sont utilisées principalement dans les milieux carcéraux.
A la frontière de ces deux écoles on retrouve des échelles semi-structurées qui représentent une trame pour le clinicien tout en lui permettant de pondérer certains critères afin de leur attribuer un poids diffèrent dans l’évaluation du risque de violence. Une évaluation efficiente de la responsabilité pénale d’un individu permet une orientation adaptée soit vers les soins psychiatriques soit vers une judiciarisation. Une articulation entre ces deux dimensions est également possible grâce aux dispositifs existants des soins pénalement ordonnés qui permettent une approche médico-juridique uniquement disponibles en post-sententiel, c’est-à-dire après le prononcé d’une condamnation et en milieu ouvert.
Pour les individus incarcérés ou nécessitant une hospitalisation, d’autres dispositifs spécifiques existent. Du côté sanitaire on retrouve : les services de psychiatrie générale ; les Unités de Soins Intensifs Psychiatriques (USIP) qui ont pour vocation d’accueillir des patients en crise pour une durée courte ; en bout de chaîne, on retrouve les Unités pour Malades Difficiles (UMD) au nombre de dix sur le territoire français qui sont dédiées à la prise en charge des patients qui présentent pour autrui un danger tel que les soins, la surveillance et les mesures de sûreté́ nécessaires ne peuvent être mis en œuvre que dans une unité́ spécifique.
Du côté carcéral on retrouve : les Unités de Soins Médico-Psychologiques (USMP) permettant à chaque détenu de bénéficier d’une prise en charge psychiatrique ou psychologique sur la base du volontariat ; les Unités d’Hospitalisation Spécialement Aménagées (UHSA) véritables unités d’hospitalisation psychiatrique sécurisées par une enceinte pénitentiaire au sein de l’hôpital psychiatrique.
Force est de constater que les individus qualifiés de « à risque de violence » qu’ils soient ou non atteints de troubles mentaux se retrouvent souvent en fonction du moment de leur parcours dans l’une ou l’autre des structures citées précédemment.
En conclusion, gardons à l’esprit que les malades mentaux pris en charge en psychiatrie sont avant tout des victimes, mais leurs troubles les stigmatisent souvent du côté de la violence en tant qu’auteur. La pratique psychiatrique actuelle implique désormais la gestion du risque. Cette dimension effraie et peut conduire à̀ des dérives sécuritaires par crainte de poursuites. C’est pourquoi la question de l’évaluation de la dangerosité́ devient centrale et doit conduire le psychiatre à̀ connaître et maîtriser cette dimension médico-légale de cette spécialité́.
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Dr Laurent Layet, psychiatre expert près la cour d’appel de Nîmes

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