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samedi 4 mai 2019

Pour une écologie du travail, sortons des injonctions productivistes

Manifestation de la jeunesse pour le climat, devant le ministère de l'Ecologie à Paris, le 15 février.
Manifestation de la jeunesse pour le climat, devant le ministère de l'Ecologie à Paris, le 15 février. Photo Jacques Demarthon. AFP

Réduction du temps de travail, instauration d'un revenu d’existence inconditionnel, création d'espaces d’activités non-marchandes… La sortie de la stricte logique économique du monde du travail doit passer par des mesures aux fondements de la pensée écologiste.

Tribune. Le monde du travail est confronté à un paradoxe. Alors que les travailleurs, et en particulier les jeunes salariés, aspirent à la fois à donner davantage de sens à leurs productions et à ne pas faire du travail l’axe principal autour duquel graviterait leur vie, les tendances sont à la multiplication des bullshit jobs – ces emplois sans intérêt ni réelle fonction – et à l’allongement du temps de travail.
De ce paradoxe découlent plusieurs oppositions qui structurent le monde du travail et la société française. Alors que les individus cherchent à s’émanciper des tâches contraintes, dont le travail en tant qu’activité hétéronome, le temps de travail des ouvriers comme des cadres s’allonge sous l’effet du chantage à la compétitivité et à la délocalisation pour les uns, et de l’injonction à la performance monétisée pour les autres. Cet allongement de fait du temps de travail est en rupture fondamentale avec les revendications et les politiques menées depuis le début du XIXe siècle. Bien que le progrès technique et le partage du travail soient censés permettre une émancipation collective, les récentes législations dérogatoires du droit commun, les incitations aux heures supplémentaires et la course au rendement ont mené à une stabilisation de la durée du travail, voire une augmentation du temps de travail effectif lorsque l’on considère le temps travaillé tout au long de la vie avec l’augmentation de l’âge du départ à la retraite à taux plein. Cette augmentation s’inscrit dans une dynamique de plus en plus poussée de questionnement des travailleurs quant à l’utilité des tâches effectuées et leurs impacts effectifs sur la collectivité.

Partage du travail

Au-delà de l’incohérence avec les aspirations des individus, demandeurs de temps libre – temps libre qui peut par ailleurs être un travail au sens anthropologique ou philosophique du terme dès lors qu’il permet la création –, ces politiques d’allongement du temps de travail sont aussi en rupture avec le choix progressiste qu’avait fait la France pour lutter contre le chômage, en couplant politique de l’emploi et politique de réduction du temps de travail grâce à la notion de partage du travail. Ce dernier devait s’effectuer au bénéfice de tous : donner du travail aux personnes sans emplois, et augmenter le temps libre des personnes en emploi en les libérant du travail contraint tout en diminuant les dépenses sociales d’allocations-chômage. Alors que l’équilibre des budgets sociaux est désormais uniquement envisagé par le prisme de l’allongement des durées de cotisations, et donc l’augmentation du travail contraint, les politiques de lutte contre le chômage ne peuvent qu’être appréhendées qu’au travers d’une réduction de son coût, c’est-à-dire du salaire versé aux salariés, avec pour double conséquence de maintenir dans la pauvreté des salariés mais aussi de subventionner les dumping social par le système de protection sociale qui empêche – théoriquement – de laisser des individus dans la pauvreté.
A l’heure du chômage de masse – 3,65 millions de Français sans emploi pour la catégorie A fin mars, bien plus toutes catégories confondues – , des phénomènes d’épuisement professionnel par l’excès de travail («burn-out») ou par l’ennui («bore-out»), la question de la place du travail redevient une question de santé publique majeure, mais aussi un choix collectif de société. Ces incohérences remettent en question la pertinence de notre modèle économique, dans un contexte d’affaiblissement de la défense des intérêts collectifs et des organisations syndicales. Ces phénomènes sont des créations interstitielles qui s’épanouissent dans les failles d’un système orienté vers la course au rendement et aux profits capitalistiques, tous deux encouragés par les pouvoirs publics. Mais ils sont aussi le résultat d’une culture faisant du travail contraint le pilier de nos vies et de nos relations sociales. Les récentes déclarations du Président Macron, à quelques jours de la fête du Travail, annoncent une accentuation de ces politiques. Si l’âge de départ à la retraite ne devrait théoriquement pas changer, le nouveau système par point conduira à inciter les travailleurs à cotiser plus longtemps, et donc à décaler de facto l’âge de retraite à taux plein. Face à cette accentuation des politiques économique et de travail reposant sur les équilibres macroéconomiques hérités des théories néolibérales qui reproduisent l’échec, face au désemparement pour les plus intégrés au système et à l’exploitation ou le maintien dans la pauvreté pour les plus précaires, il est urgent de proposer de nouvelles politiques de l’emploi et, au-delà, de repenser fondamentalement le travail et sa place dans notre société.

Espaces d’activités non-marchandes

Le projet écologiste a dès ses origines questionné la place du travail dans la société et le collectif, mais aussi dans la vie des individus et son rôle dans la transition écologique. André Gorz proposait l’abolition de la société salariale pour mettre un terme à «la tyrannie qu’exercent les rapports de marchandise sur le travail», dans l’objectif de mettre au cœur l’autodétermination des individus. Pour lui, le travail «peut s’affranchir des ''nécessités extérieures'' […], devenir ce que nous faisons parce que […] nous […] trouvons notre accomplissement dans l’activité elle-même autant que dans son résultat». Cette approche de remise en perspective du travail hétéronome avec les autres activités de la vie est au fondement de la pensée écologiste du travail, laquelle se fonde sur la critique du dogme croissantiste dans le cadre des limites planétaires limitées mais aussi pour ses conséquences sur l’organisation de la société et la vie et les corps des individus. La vision écologiste cherche au contraire à promouvoir un mieux-vivre par l’épanouissement des individus grâce au développement d’activités autodéterminées, rendues possibles par la diminution du temps affecté au travail. Ce projet de société implique de sortir le travail de la seule logique économique, alors que la tradition ouvrière a construit une critique du capitalisme du point du vue du travail et du productivisme.
Le débat doit certes porter sur la répartition de la richesse produite entre rémunération du travail et du capital et les gains de productivité être affectés à la réduction du temps de travail. Mais la pensée écologiste propose d’aller plus loin encore, en opérant cette sortie du travail et des rapports sociaux de la stricte logique économique, notamment grâce à la réduction du temps de travail et le passage aux 32 heures, l’instauration d’un revenu d’existence inconditionnel et la création d’espaces d’activités non-marchandes. Toutes ces mesures ont pour objectif d’assurer la transition écologique du monde du travail, de débarrasser la société des injonctions productivistes nocives pour l’environnement, confondant lien social et relations marchandes, et de lutter contre l’aliénation par le travail pour, in fine, renforcer l’autonomie des individus et les espaces de liberté.

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