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lundi 29 avril 2019

«Les religions, comme la société, cherchent à contrôler le corps féminin»

Par Virginie Ballet — 
Dans «Female pleasure», la réalisatrice Barbara Miller met à l'honneur le combat de cinq militantes féministes à travers le monde.
Dans «Female pleasure», la réalisatrice Barbara Miller met à l'honneur le combat de cinq militantes féministes à travers le monde.Photo Jason Ashwood

Dans le documentaire «Female pleasure», qui sort ce mercredi en France, la réalisatrice suisse Barbara Miller a suivi cinq militantes féministes d'horizons différents qui luttent pour libérer le corps des femmes des stigmates qui lui sont associés.

Dans une rivière japonaise, l’artiste Rokudenashiko vogue, hilare et fière, dans un drôle de canoë. De son vrai nom Megumi Igarashi, cette quadragénaire est partie en croisade contre le tabou qui entoure les organes génitaux féminins dans son pays. Alors, c’est dans une embarcation en forme de vulve, réalisée à partir d’un moulage de son propre sexe, qu’elle a choisi de ramer, à contre-courant d’une société capable de vénérer le phallus, symbole de fertilité, mais ne peut supporter de prononcer le mot «manko», qui signifie vulve.
Ainsi, à Kawasaki, se tient chaque printemps le «Kanamara Matsuri», ou «fête du pénis de fer», au cours de laquelle paradent des vits de toutes tailles et de toutes formes. Mais Rokudenashiko, elle, est poursuivie en justice pour «obscénité»en raison de ses créations autour de la vulve. Dans le documentaire Female Pleasure, qui sort en France ce mercredi (1), la réalisatrice suisse Barbara Miller a choisi de conter l’histoire de Rokudenashiko et de quatre autres femmes qui, comme elle, militent pour défaire le corps féminin des stigmates qui lui sont associés.
Pendant deux ans, la documentariste a suivi les combats de l’Allemande Doris Wagner, ex-sœur abusée par un prêtre catholique lorsqu’elle était au couvent ; de l’Américaine Deborah Feldman, qui a fui la communauté juive ultra-orthodoxe du quartier new-yorkais de Williamsburg (Etats-Unis) dans laquelle elle a grandi et été mariée de force ; de la Somalienne Leyla Hussein, excisée à l’âge de 7 ans et qui milite contre les mutilations génitales féminines ; ainsi que de l’Indienne Vithika Yadav, qui a créé une plateforme d’éducation sexuelle baptisée «Love matters» pour promouvoir davantage d’égalité dans les rapports hommes-femmes et lutter contre les agressions sexuelles.

«Le corps féminin apparaît comme un péché»

L’idée du film a commencé à faire son chemin il y a près de cinq ans. «Je voyage beaucoup pour mon travail. Au fur et à mesure, j’ai commencé à me demander ce que cela signifie d’être une femme au XXIsiècle, quel rapport nous entretenons à notre corps ou à la sexualité», explique Barbara Miller. Petit à petit, une question se fait lancinante : «Pourquoi est-ce que la sexualité va davantage de pair avec la douleur, le devoir ou la culpabilité qu’avec le plaisir ?» questionne la documentariste. Pour trouver des réponses, elle se plonge dans les textes fondateurs des cinq principales religions mondiales. Bilan ? «Chaque fois, le corps féminin apparaît comme un péché, et les femmes comme des êtres à l’origine des maux du monde. J’ai été surprise de découvrir que dans le bouddhisme, les femmes ne peuvent se réincarner en Bouddha, elles doivent d’abord être réincarnées dans des corps d’hommes», résume Barbara Miller, qui réfute pour autant avoir pensé un film sur la religion, et encore moins sur la foi. «La croyance est de l’ordre du privé. J’ai plutôt voulu mettre en évidence un système : les religions, comme la société, cherchent à contrôler le corps féminin», observe-t-elle. 

«Nous avons été gentilles, dociles, jolies…»

Mais des îlots de rébellion font leur apparition, ce qui n’est pas sans risque. C’est pour cela que la réalisatrice a choisi de faire entendre les voix de cinq femmes déjà engagées dans un combat féministe et conscientes des dommages éventuels que peut engager une telle exposition publique. Ainsi, la psychothérapeute Leyla Hussein, née à Mogadiscio (Somalie) et désormais installée au Royaume-Uni, doit vivre sous surveillance policière et faire face à des menaces de mort en raison de son combat contre l’excision, et ce depuis de nombreuses années. L’Américaine Deborah Feldman, elle, a livré dès 2012 dans le best-seller Unorthodox : the Scandalous Rejection of my Hasidic Roots son rejet de la vision des femmes véhiculée par la communauté juive ultra-orthodoxe dans laquelle elle a longtemps vécu, non sans faire elle aussi l’objet d’acerbes critiques.
Depuis, #metoo a fait son apparition. La révolution est-elle en marche ? «Le sentiment de honte commence à changer de camp», estime Barbara Miller. Pour elle, cette vague de libération de la parole a aussi permis le développement d’une forme de sororité : «Aujourd’hui, il est moins difficile d’affirmer que nous représentons la moitié de l’humanité, et que donc, nous avons des droits. Nous avons déjà accepté bien trop de pressions concernant nos corps, notre sexualité, notre plaisir. C’en est assez. Pendant des siècles, nous avons été gentilles, dociles, jolies, avons vénéré le plaisir masculin. Maintenant il est temps de penser à nous !» Amen. 
 (1) Female Pleasure, de Barbara Miller, 1h37, 2018

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