Dans la banque de sperme Cryos à Aarhus au Danemark, 2015. Photo Laerke Posselt. Agence VU
Avant la présentation, en juillet, du projet de loi bioéthique qui doit ouvrir la PMA à toutes, une disposition fait grincer : faut-il écrire «né d’un don» sur l’acte de naissance des enfants conçus avec les gamètes d’un tiers ? Le débat agite même le camp de ceux qui militent pour l’accès aux origines.
C’est l’histoire d’Arthur Kermalvezen, qui a fini par rencontrer l’homme qui lui a permis d’exister grâce à un don de sperme à l’âge de 34 ans. Après des années à se cogner contre le vide d’une partie de ses origines. Arthur a cherché. Il a fini par retrouver Gérard, après un test génétique, en contournant la loi française. Il livre aujourd’hui son histoire dans le Fils, l’incroyable enquête pour retrouver celui à qui il doit la vie (1). Cet ouvrage est notamment dédié à «Gérard, pour ce don de vie».
Mais c’est aussi l’histoire de Cassandre, doctorante en droit, qu’on appelait «le Petit Volcan» dans son enfance et qui comprend à 22 ans qu’on lui a «menti». Et que ce père qui l’élève n’est pas son géniteur. «Le sol s’effondre sous mes pieds […]. Les questions fusent dans ma tête et ne s’arrêteront plus jamais : Mais alors qui est-ce ? Qui es-tu ? A quoi ressembles-tu ?» Cassandre déroule sa douleur avec d’autres dans un autre ouvrage tout récent lui aussi (2). Comme Cassandre, ils sont chaque année quelque 1 250 enfants en moyenne à naître d’un don de gamètes, en très grande majorité des spermatozoïdes, et nombreux à ignorer une partie de leurs origines.
En 1994, le principe absolu de l’anonymat des donneurs (et donneuses) de gamètes (sperme ou ovocytes) était inscrit, scellé dans les premières lois de bioéthique. En 2019, vingt-cinq ans plus tard, l’espoir est là de voir ce principe du secret sauter. C’est ce qui est prévu dans le projet de loi qui doit être présenté en juillet en Conseil des ministres (à moins d’un énième report du gouvernement) en même temps que l’ouverture de la PMA à toutes les femmes.
Deux mesures phares qui doivent s’accompagner d’une réforme des modes d’établissement de la filiation entre les parents hétéros ou homos ayant eu recours à un don de gamètes et leurs enfants ainsi nés. C’est du moins ce qui figure dans le rapport de la mission parlementaire sur la révision de la loi relative à la bioéthique du député LREM Jean-Louis Touraine, support du texte de loi.
Dans ce triptyque, la PMA pour toutes et l’accès aux origines font de plus en plus consensus dans la société. «Les enfants conçus par PMA pourraient [ainsi] connaître l’identité du donneur sur simple demande, dès leurs 18 ans, pour tous les dons effectués après l’entrée en vigueur de la loi. Pour les dons précédant la loi, l’accord du donneur serait obligatoire», indique le rapport. Mais il y a un hic. La façon dont il est envisagé de réformer la filiation fait de plus en plus polémique. Comme en témoigne une tribune publiée par Libération et qui regroupe de nombreux signataires comme l’Association des parents gays et lesbiens, le Planning familial-Ufal (Union des familles laïques), etc.
Qu’est-ce qui est prévu ?
En 2014, Irène Théry, sociologue (Ecole des hautes études en sciences sociales), et Anne-Marie Leroyer, juriste (université Panthéon-Sorbonne, Paris-I), publient un rapport intitulé «Filiation, origines, parentalité». Les deux chercheuses militent pour qu’on en finisse avec le modèle du «ni vu ni connu» qui règne en matière de dons de gamètes en France, ces secrets de conception qui souvent explosent ensuite au visage des enfants. Avisées, elles prennent le soin d’expliquer que la quête des origines d’un enfant «n’a rien à voir avec une recherche en maternité ou paternité». Que «origines» et «filiation» sont deux notions distinctes. Et que «chercher à connaître l’identité d’une personne dont on est né», ce n’est pas vouloir s’inscrire dans sa lignée. Bref, «parents et géniteurs ne sont pas rivaux». Dont acte. Ce sont ces travaux qui ont inspiré au député du Rhône Jean-Louis Touraine sa fameuse proposition numéro 12 qui met aujourd’hui le feu aux poudres. Elle propose - et c’est une révolution - un mode de filiation à part pour les enfants nés de don. Charge aux futurs parents (quelle que soit leur orientation sexuelle) qui se lancent dans une procréation médicalement assistée (précisément une insémination de sperme avec donneur) d’établir devant notaire une «déclaration commune anticipée de filiation» puis de la présenter à l’officier d’état civil de mairie pour son inscription en marge de l’acte de naissance intégral de l’enfant, lui permettant d’en avoir connaissance à sa majorité.
Cette proposition impliquerait une modification du code civil. Elle serait surtout, selon Irène Théry et Anne-Marie Leroyer (organisatrices il y a peu d’un colloque sur cette question) le gage d’une transparence absolue. Et de rompre une bonne fois pour toutes avec les mensonges qui entourent souvent les naissances avec dons de gamètes dans les couples hétérosexuels. Les homosexuelles pouvant difficilement cacher qu’elles ont eu besoin d’un donneur.
Y a-t-il un loup ?
«Cette question du mode d’établissement de la filiation n’est pas une tête d’épingle dans les débats qui vont avoir lieu sur la PMA pour toutes et la levée de l’anonymat des dons, auxquelles je suis favorable, lance la juriste Laurence Brunet, chercheuse associée à l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (Paris-I). Mais il y a en fait un gros enjeu à révéler qui est né sous la couette ou pas. Et aussi à l’inscrire sur l’acte de naissance intégral, loin d’être un document anodin. Cette proposition conduit à un système stigmatisant pour les enfants qui garderaient la trace du recours à un don de gamètes sur leur acte d’état civil mais aussi pour leurs parents, qu’il s’agisse d’un couple hétérosexuel infertile, d’un couple lesbien ou d’une femme seule.» Avec d’autres juristes, elle s’en explique dans la tribune que nous publions.
Avant cela, le juriste Daniel Borrillo avait lui aussi critiqué le nouveau dispositif annoncé dans Libération. Fort bien, mais à l’heure où les couples de femmes pourront en toute légalité former une famille, une réforme de filiation s’impose. Sauf à continuer d’imposer à celle qui ne porte pas l’enfant d’adopter celui de sa compagne. Ce que la plupart des spécialistes du sujet - dont le député Touraine - considèrent comme une sorte de détournement de l’adoption.
Laurence Brunet propose, elle, d’étendre les règles actuelles applicables aux couples hétérosexuels ou homosexuels. Après consentement des deux femmes à une PMA devant notaire (comme c’est le cas pour les couples hétéros), celle qui n’a pas porté l’enfant pourrait bénéficier d’une présomption de co-maternité en cas de mariage ou de la possibilité d’une reconnaissance en dehors du mariage. Ce qui est peu ou prou le système en vigueur au Québec et en Belgique.
Qu’en disent les parents et futurs parents ?
Difficile de sonder les couples hétéros qui ni ne manifestent ni ne sont regroupés en association. Mais dans cette majorité silencieuse, une voix s’élève, celle de Bamp, association de patients de l’assistance médicale à la procréation (AMP, ou PMA) et de personnes infertiles. Ce collectif ne cache pas son hostilité à la fameuse proposition numéro 12, et souligne, acide, à quel point il «serait inédit en France que le mode de conception soit marqué sur les actes de naissance». Bamp voit dans cette idée un côté «punitif», puisqu’il s’agit de contraindre les parents à dire la vérité. «Cela sous-tend que les couples hétéros mentent aux enfants, explique Virginie Rio de Bamp. On se sent mis en cause publiquement. D’autant que l’on nous ressasse que les lesbiennes, elles, ne peuvent pas mentir. C’est vraiment déplaisant. C’est difficile de mettre sa stérilité sur la table. Il faut aider. Pas imposer. Là c’est une sorte de dictature de la transparence.»
Mais n’est-elle pas nécessaire pour l’enfant ? Globalement, on estime (mais est-ce fiable ?) que 30 % des enfants sont au courant de leur mode de conception vers l’âge de 8-10 ans. Selon une enquête conduite au Cecos de Toulouse présentée lors des journées de la Fédération française d’étude de la reproduction en 2018, 82 % des couples ayant eu recours à une insémination avec donneur ont levé ou ont l’intention de lever le secret… «La société a changé. Il est moins tabou de parler de dons de gamètes depuis dix-quinze ans. Et de plus en plus de parents le font, même s’il y aura toujours des irréductibles. En outre je précise que notre association n’est pas du tout hostile à l’accès aux origines», assure Virginie Rio.
Et qu’en pense-t-on chez les homosexuels qui ne peuvent pas mentir ? Si l’Association des familles homoparentales (ADFH) est sur la ligne Théry-Leroyer, la plus grosse association des parents gays et lesbiens (l’APGL) se dit «vent debout» contre cette idée d’une mention «né d’un don» sur l’acte de naissance de l’enfant ainsi conçu.
Dominique Boren, l’un des coprésidents : «C’est un projet inadmissible de ségrégation des personnes en fonction de leur mode de procréation et d’atteinte à la vie privée et à la liberté individuelle. La France serait le seul pays où des enfants se verraient imposer l’inscription de leur mode de conception sur un acte civil des plus intimes, participant de leur vie privée !» D’ores et déjà, l’association invite les parlementaires à rejeter une telle proposition. Pour ce qui est du mode d’établissement de la filiation, elle milite (comme les juristes signataires de la tribune) pour une présomption de co-maternité, dès que la PMA sera ouverte à toutes…
Et les enfants dans tout ça ?
Vincent Brès est né en 1979, grâce à un don de sperme. Il ne l’a su qu’à 31 ans. Ce jour-là, il a vu sa vie «repeinte de mensonges». Il ne connaît toujours pas l’identité de l’homme qui s’est un jour présenté au Cecos de Marseille pour y donner ses gamètes. De douleurs en questionnements, il est devenu président de l’association PMAnonyme (70 adhérents et 120 abonnés au fil WhatsApp), qui milite pour le droit à l’accès aux origines. A titre personnel, il défend la fameuse mention «né de don». «Que ce soit écrit constitue la meilleure arme contre les secrets de famille. Et je m’en moque que cela puisse figurer sur mon acte de naissance intégral. Quelle importance ?» Mais il l’admet : «Cela ne fait pas l’unanimité au sein de notre association. Certains trouvent cela stigmatisant.»
(1) Arthur Kermalvezen, avec Charlotte Rotman, éd. L’Iconoclaste, 204 pp.
(2) Je suis l’une d’entre elles. La première génération de personnes conçues par PMA avec don témoigne, sous la direction de Vincent Brès, éd. L’Harmattan.
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