Depuis fin 2015, la Ville a mis en place des maraudes et un dispositif d’insertion pour les familles à la rue. Le dispositif doit être étendu à seize départements, a annoncé le gouvernement.
L’approche de la camionnette, pourtant banalisée, de la maraude de l’Unité d’assistance aux sans-abri (UASA) fait décamper deux garçons et leur père, ce jeudi 11 avril. Ils faisaient la manche boulevard Haussmann, à Paris, à quelques mètres des vitrines rutilantes des Galeries Lafayette. Aurora, la mère de 38 ans, affronte donc seule les deux travailleurs sociaux, Sabine, coordonnatrice, assistée de Pierre, traducteur roumain (les prénoms ont été modifiés).
Le dialogue est cordial : ce n’est pas la première fois que l’équipe de la maraude rencontre cette famille rom qui ne se montre pas hostile et ne mendie qu’en cas de nécessité. Arrivée en 2017, à Paris, après des mois d’errance, elle s’est installée dans un campement à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) : « Les Parisiens sont accueillants. On veut rester ici », confie Aurora au moment même où une passante glisse des gâteaux dans son sac.
« Comment vont les enfants ? », s’inquiète Sabine. Elle n’ignore pas que le plus jeune, âgé de 4 ans, souffre d’insuffisance respiratoire, et que l’aîné, 14 ans, qui ne va pas à l’école, a des dents en mauvais état. Quant à Aurora, d’habitude souriante, elle semble souffrir des reins…
Sabine propose des rendez-vous dans les hôpitaux, Pierre saisit le numéro de portable d’Aurora. Ces rendez-vous de santé sont autant d’occasions de garder le contact. « Nous faisons de la médiation, nous essayons de faire entrer ces familles dans un parcours d’insertion, pour qu’elles quittent la rue. Nous leur distribuons des bons pour se rendre à l’accueil de jour… », détaille Sabine, qui incite aussi Aurora à vite retrouver ses enfants et son mari, sans doute réfugiés au McDonald’s du coin. La jeune femme replie ses couvertures.
« Devoir de protection »
Depuis octobre 2015, huit maraudes hebdomadaires destinées aux familles ont été mises en place par la Ville de Paris. Leur particularité est d’associer aux équipes d’inspecteurs de sécurité des travailleurs sociaux de la protection de l’enfance et des traducteurs roumains ou bulgares. Le dispositif, dont l’objectif est de sensibiliser les familles à l’interdiction de la mendicité des enfants, s’apprête d’ailleurs à être étendu à seize départements, comme l’a annoncé le gouvernement, le 29 mars.
Protéger les enfants, tous les enfants, c’est l’obsession de Dominique Versini, adjointe à la maire de Paris chargée de la lutte contre l’exclusion et de la protection de l’enfance. « Nous voulons mettre en place une approche sociale globale, explique-t-elle. Nous avons un devoir de protection vis-à-vis de ces enfants à la rue, Roms pour la plupart, comme de tous les autres et le droit commun doit s’appliquer. »
Dix personnes, notamment des roumanophones, ont été embauchées et spécialement formées à prendre en compte l’intérêt supérieur des enfants. Car leur médiation peut aboutir à plusieurs mesures, y compris la séparation d’avec les parents. « C’est un processus très progressif, précise la Mairie de Paris, avec la démarche d’aller vers ces familles qui ne sollicitent pas d’elles-mêmes les services sociaux. Lors des maraudes, elles sont incitées à se rendre dans les accueils de jour pour bénéficier d’un accompagnement. »
En 2016, un espace Solidarité Insertion destiné spécialement aux familles à la rue a ouvert. Le lieu, aujourd’hui situé dans le quartier Bonne-Nouvelle, est géré par deux associations, l’Œuvre de secours aux enfants (OSE), chargée du suivi des familles envoyées par l’UASA, et le Centre d’action sociale protestant pour l’insertion. On y propose des petits déjeuners, des consultations médicales, des douches, un espace de jeu…
Des avertissements de « la police »
Ionut, père de famille rom de Roumanie, 40 ans, barbe châtain et yeux clairs, pousse la porte du centre quasiment tous les jours pour rencontrer Silvia Verita, son assistante sociale. Inscrit à Pôle emploi, il cherche avant tout du travail et attend de commencer une formation en français. A son arrivée en France, il y a trois ans, avec sa femme et ses deux enfants, il a été hébergé brièvement dans un hôtel avant de vivre pendant un an dans un bidonville, qui a été démantelé depuis. Sa famille dort actuellement sur les trottoirs parisiens dans l’attente d’une solution.
Dans un français hésitant, il explique avoir reçu à plusieurs reprises des avertissements de « la police » quand il mendiait avec ses enfants : « Ils m’ont dit qu’ils pouvaient prendre les enfants, alors on a arrêté. »
Silvia Verita et Ionut parlent ensemble en italien, une langue qu’il a apprise durant les quatorze années déjà passées dans un campement de fortune transalpin. « Ionut et sa femme veulent que les enfants soient scolarisés. Le grand, âgé de 12 ans, doit intégrer l’école à la rentrée prochaine. Le plus jeune, âgé de 7 ans, vient juste de finir ses vaccinations », explique la travailleuse sociale.
« Notre rôle est d’évaluer les familles et de repérer celles qui sont dans le déni de l’éventuelle maltraitance des enfants », explique dans le bureau voisin Thomas Pignon, le coordinateur de l’OSE. Un refus d’aide ou de scolarisation constitue un signal d’alerte et des mesures éducatives peuvent être mises en place, impliquant un contrat entre la famille et l’Aide sociale à l’enfance.
500 enfants rencontrés entre 2017 et 2018 lors des maraudes
Pour les familles persistant à mendier avec leurs enfants, la municipalité parisienne va jusqu’à contacter les services sociaux en Roumanie par le biais de l’association Trajectoires qu’elle a missionnée pour cela : « Ces éléments aideront les juges des enfants et le parquet des mineurs à prononcer des mesures de protection en fonction de la situation de l’enfant et non uniquement par rapport à la mendicité », explique le sociologue Olivier Peyroux, spécialiste des migrations issues de l’Europe de l’Est et fondateur de Trajectoires.
Sur 500 enfants rencontrés, entre 2017 et 2018, lors des maraudes, 200, notamment ceux qui ne sont pas scolarisés, ont été signalés auprès de la Cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP). Cent cinq ont fait l’objet d’un placement provisoire de huit jours et seuls dix-sept cas ont abouti à un placement prononcé par le juge des enfants, le plus souvent en foyer. « Le placement est une solution ultime lorsque rien d’autre n’a fonctionné. Nous avons des échecs mais aussi de belles réussites », plaide Mme Versini.
C’est ce qui est arrivé à deux jeunes filles doms, c’est-à-dire roms de Syrie, parlant arabe, repérées en novembre 2018 gare Saint-Lazare. Ce nouveau public a surpris les services sociaux : il s’agit de familles souvent installées en Belgique où elles ont obtenu le statut de réfugiés, qui arrivent à Paris pendant le ramadan pour mendier aux abords des mosquées ou dans le métro.
Les deux sœurs, nées en 2004 et 2005, faisaient ainsi régulièrement la manche sous le regard pressant d’autres membres de la famille. Au premier contact avec l’UASA, elles se sont montrées hostiles et ont refusé de donner leur identité et leur adresse, en fait un hôtel insalubre de Saint-Denis. Après de multiples visites et avertissements aux parents, les adolescentes ont été placées, sur ordonnance judiciaire et pour deux mois, dans deux foyers distincts, en France.
« Exclusion sociale et administrative »
Le juge a interrompu la mesure et décidé de les renvoyer dans leur famille, en Belgique, où elles sont suivies par les services sociaux. « Même si je pense que la place des enfants est en famille, je constate, pour ces jeunes filles comme dans un autre cas, que la mesure de placement a permis des avancées dans le parcours d’insertion. L’ensemble de leur fratrie va désormais à l’école », témoigne le médiateur culturel de leur commune bruxelloise.
Mais ce recours au placement fait réagir une dizaine d’associations, comme le collectif RomEurope qui, tout en saluant le travail qui consiste à aller vers ces familles, rappelle, dans un communiqué du 29 mars, que « précarité ne veut pas dire enfance en danger. C’est avant tout l’exclusion sociale et administrative des familles, source de précarité, qu’il faut appréhender, ainsi que l’absence de solution d’hébergement stable ou de logement et les obstacles à l’accès au droit commun, notamment l’école ».
« Ces placements sont d’une grande violence », critique aussi Nicolas Clément, bénévole au Secours catholique de Paris, qui a aidé une vingtaine de familles confrontées aux juges des enfants. « Le placement peut être justifié quand tout est bloqué et qu’il y a un vrai travail d’accompagnement, mais je constate souvent que le juge ordonne de rendre les enfants à condition qu’ils rentrent en Roumanie. Où est alors l’intérêt de l’enfant ? N’est-ce pas plutôt une opération d’invisibilité des pauvres, d’éloignement de l’espace public ? », s’interroge-t-il.
La Mairie de Paris préfère, elle, se féliciter de la baisse du nombre d’enfants dans la rue la nuit.
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