Des chercheurs ont cherché à savoir pourquoi vivre en milieu rural a un effet protecteur sur certains troubles psychologiques comme la dépression ou l’anxiété.
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | | Par Sylvie Chokron (Directrice de recherches au CNRS, Laboratoire de psychologie de la perception, université Paris-Descartes et Fondation ophtalmologique Rothschild)
Carte blanche. Nous n’avons jamais vécu aussi éloignés de la nature qu’à notre époque. Aujourd’hui, on estime que 50 % de la population mondiale vit dans un environnement urbain, et ce chiffre pourrait même atteindre 70 % en 2050. Bien qu’être citadin procure de nombreux bénéfices, vivre en milieu rural pourrait avoir un effet protecteur sur certains troubles psychologiques comme la dépression ou l’anxiété.
Comment expliquer ce phénomène ? Est-ce dû au rythme de vie, moins stressant à la campagne qu’en ville ? Sans doute, mais une autre raison, liée à nos perceptions et non seulement à notre mode de vie, est peut-être à l’origine du bénéfice moral que représente le temps passé dans la nature.
En effet, alors qu’en ville nous sommes exposés à des angles droits, du fait des immeubles, et à des quadrillages, typiques des rues et des carrefours, les environnements naturels se composent d’angles irréguliers et de bordures non linéaires. Dans une étude très récente, Kathryn Schertz, de l’université de Chicago, a ainsi tenté de savoir si les caractéristiques des informations visuelles dans la nature, plus aléatoires et moins linéaires, pouvaient influencer le cours de nos pensées.
Pour ce faire, les participants devaient décrire le contenu de leurs pensées grâce à des mots-clés (joie, peine, vie, santé, mort…) lorsqu’ils se promenaient dans un parc, s’imaginaient dans celui-ci, ou encore lorsqu’ils étaient confrontés à des images de parcs dans lesquels étaient contrôlés différents paramètres tels que la couleur, la luminance, la linéarité ainsi que la quantité d’informations contenue dans l’image.
Préserver sa santé mentale
L’étude montre que la présence d’angles irréguliers et de bordures non linéaires induit clairement plus de pensées en lien avec la nature, et génère également plus de pensées spirituelles et positives sur le cours de la vie. Si voir la nature nous met en joie, est-il suffisant d’insérer des photographies de sites naturels paradisiaques en fond d’écran ? Cela pourrait-il réduire la rumination mentale, cette tendance à ressasser des pensées négatives sur nous-mêmes ?
Peut-être pas, si l’on en croit l’étude de Gregory Bratman, de l’université Stanford (Californie), qui montre qu’une activité physique dans la nature pourrait être encore plus utile que la simple vue d’un paysage. Ces auteurs se sont en effet intéressés à l’influence d’une promenade à pied, dans un environnement naturel, sur notre degré de rumination mentale. Réduire ce comportement pourrait s’avérer très utile car il semble être un élément prédictif de maladies mentales, en particulier de la dépression.
Des sujets tout-venant, vivant en milieu urbain mais pas particulièrement angoissés ou déprimés, ont été priés de réaliser une marche de quatre-vingt-dix minutes dans un milieu naturel ou dans un environnement urbain. Les auteurs mesuraient avant et après l’expérience, dans les deux groupes, le degré de rumination mentale ainsi que l’activité dans le cortex préfrontal subgénual, connu pour son implication dans ce type de pensée répétitive négative et dans la dépression.
Les résultats montrent clairement que marcher dans la nature réduit simultanément le degré de rumination mentale et le niveau d’activité du cortex préfrontal subgénual, alors qu’aucun effet positif sur ces deux marqueurs n’est retrouvé chez les sujets ayant fait le même exercice physique en milieu urbain. Ces études soulignent à quel point il est important de permettre aux citadins, pour pouvoir préserver leur santé mentale, de s’échapper facilement et rapidement dans la nature quand ils le souhaitent ou en ressentent le besoin.
A l’heure où l’urbanisation s’accélère, n’oublions pas de nous mettre régulièrement au vert pour éviter de broyer du noir et continuer à voir la vie en rose…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire