Le parquet de Rouen a annoncé, jeudi, l’ouverture d’une enquête à la suite d’une plainte déposée par l’Association des familles homoparentales. Cette plainte vise une responsable du service de l’adoption, qui a tenu des propos jugés discriminatoires.
Est-ce seulement « la partie visible de l’iceberg », comme le pensent les associations de défense des parents homosexuels ? La responsable du service de l’adoption de Seine-Maritime a été suspendue de ses fonctions à titre conservatoire, mercredi 20 juin, après ses propos concernant les couples homosexuels candidats à l’adoption.
Le parquet de Rouen a annoncé jeudi l’ouverture d’une enquête préliminaire pour discrimination « à la suite de la plainte déposée », mardi, par l’Association des familles homoparentales (ADFH), a précisé le procureur de la République de Rouen, Pascal Prache. Selon l’ADFH, la plainte vise la responsable.
Dans un entretien accordé à France Bleu Normandie, diffusé lundi, Pascale Lemare déclarait que ces couples « eux-mêmes (…) un peu atypiques par rapport à la norme sociale mais aussi la norme biologique » devaient accepter « des profils d’enfants atypiques », c’est-à-dire « ceux dont personne ne veut, parce qu’ils sont trop cassés, trop perturbés psychologiquement, trop grands, handicapés ».
Ces déclarations ont suscité un tollé . « J’ai à plusieurs reprises condamné très fermement et sans aucune réserve ces propos discriminatoires qui ne reflètent en rien la politique départementale que je conduis », a affirmé le président du conseil départemental de Seine-Maritime, Pascal Martin, dans un communiqué, le 20 juin.
La secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, a fait de même, en rappelant que la loi sur le mariage entre couples de même sexe de mai 2013 garantit une égalité de traitement et que toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle était passible de trois ans de prison et 45 000 euros d’amende. Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, s’est saisi d’office de l’affaire afin d’enquêter sur les pratiques de ce service.
« Tout se passe dans l’ombre »
« Les termes sont choquants à la fois pour les couples homosexuels et les enfants dont elle parle », commente Marie-Claude Picardat, présidente de l’Association des parents gays et lesbiens. L’Association des familles homoparentales réclame des mesures de lutte contre le traitement différencié, comme l’anonymisation des dossiers des candidats. Ces militants associatifs ne sont cependant pas surpris. « Ce n’est pas la première fois que nous avons connaissance de situations de ce type, poursuit Mme Picardat. Mais ce n’est en général pas dit ouvertement. »
« La loi a changé, mais elle n’a pas été accompagnée, relève Alexandre Urwicz, le président de l’Association des familles homoparentales. Les dossiers des couples homosexuels sont mis en bas de la pile, mais tout se passe dans l’ombre. » Selon ces associations, seules une dizaine de pupilles de la nation (enfants nés en France et abandonnés) et une dizaine d’enfants nés à l’étranger auraient été adoptés par des couples homosexuels depuis 2013. A l’international, seuls le Brésil, la Colombie et l’Afrique du Sud acceptent d’examiner leurs candidatures.
Il est très difficile de savoir sur quels critères sont évalués les dossiers des candidats à l’adoption de pupilles : tout se déroule à huis clos. Dans chaque département, les conseils de famille, composés de huit membres (deux élus du conseil départemental, deux personnalités qualifiées, un responsable de l’Union départementale des associations familiales, un représentant des familles adoptives, un représentant de l’Association nationale des pupilles de la nation, un responsable des familles d’accueil), réunis sous l’autorité du préfet, examinent les dossiers et tranchent à la majorité.
« Une réflexion plus poussée »
Les demandeurs sont beaucoup plus nombreux que les enfants adoptables. Environ 1 500 enfants le sont chaque année alors que 16 000 familles sont en attente. Mais la moitié des pupilles aujourd’hui placés à l’Aide sociale à l’enfance ne trouvent pas de familles, en raison de leur état de santé, de leur âge élevé, ou d’un handicap.
« Il n’y a pas de droit à l’enfant, mais des enfants qui ont besoin de parents, affirme Nathalie Parent, présidente d’Enfance et familles d’adoption, principale association de parents adoptifs. On ne peut traiter toutes les demandes à égalité. Par exemple, un couple sera privilégié par rapport à un célibataire, des jeunes par rapport à des candidats plus âgés. Mais certains enfants ont besoin de profils spécifiques. »
Mme Parent affirme n’avoir jamais rencontré d’homophobie parmi les membres des conseils de famille. « On m’a dit au contraire que les dossiers de parents homosexuels présentaient souvent une réflexion plus poussée que la moyenne sur la parentalité adoptive », affirme-t-elle. L’affaire de Seine-Maritime pourrait en tout cas faire office de rappel à la loi pour les services chargés d’évaluer les dossiers.
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