L’économiste Olivier Bargain passe en revue, un par un, les arguments du débat sur l’inefficacité et le coût des aides sociales en France. Un « pognon de dingue » pour les pauvres ?
LE MONDE ECONOMIE | | Par Olivier Bargain (professeur à l’université de Bordeaux et membre du Conseil d’analyse économique)
[Les propos du président de la République sur les aides sociales ont provoqué la controverse. Quatre experts, dont Olivier Bargain, en donnent les clés.]
Tribune. Le gouvernement actuel a remporté les élections sur la promesse d’une modernisation du pays associant flexibilité et sécurité. Il a démontré son volontarisme en matière de flexibilisation du marché du travail mais, depuis le début de son mandat, le versant social fait défaut. Les choses sont malheureusement allées plus loin : certains ministres ont relancé la polémique sur les aides sociales en ressortant un dangereux discours sur la soi-disant inefficacité de notre système. Une note de la direction du budget a même évoqué des pistes d’économies (révision des règles d’éligibilité, désindexation des minima sociaux sur l’évolution des prix, etc.).
En attendant le rapport du « Comité action publique 2022 » (CAP22), le gouvernement serait bien inspiré de se replonger dans celui du Conseil d’analyse économique d’avril 2017, qui recadrait les termes du débat et proposait des solutions raisonnables (« Mieux lutter contre la pauvreté par des aides monétaires », note du CAE n° 41, avril 2017).
Tout d’abord, parler d’un nombre de pauvres excessif, comme l’a fait le premier ministre, est un choix rhétorique : le chiffre de 9 millions de pauvres paraît élevé, mais cela correspond à 14,2 % de la population française, c’est-à-dire un taux moins élevé que la moyenne européenne ou que dans certains pays scandinaves pourtant réputés pour la générosité de leurs systèmes sociaux. Ce taux est également stable : il oscille entre 13 % et 14 % au cours des vingt dernières années.
Rappelons aussi que la pauvreté est relative. Ce taux est défini à partir d’un seuil fixé à 60 % de la médiane des revenus, soit 1 015 euros par mois pour un adulte. Pour catégoriser la grande pauvreté, on peut adopter des seuils plus bas : 50 % de la médiane (846 euros) ou 40 % (676 euros). Les taux de pauvreté descendent alors à 8 % (5 millions de personnes) et 3,4 % (2,1 millions de personnes) respectivement. Notons, enfin, que la pauvreté n’est pas partagée par tous : elle diminue avec l’âge et touche relativement peu les retraités (8 % pour les plus de 60 ans), car ils bénéficient de minima sociaux plus élevés ; à l’inverse, elle se concentre sur certains groupes démographiques comme les mères célibataires (35 %).
Des aides assez bien ciblées
Il faut bien sûr évaluer le rapport coût-efficacité de notre système social. Est-il aussi désastreux que veulent bien le dire certains membres du gouvernement ? Le coût des différents minima sociaux et de la prime d’activité s’élève à 29 milliards d’euros, soit 1,4 point de produit intérieur brut (PIB), et atteint 2,6 points de PIB si l’on ajoute les aides au logement et les prestations familiales sous condition de ressources.
Ces aides sont globalement assez bien ciblées et permettent de diviser par 1,6 le taux de pauvreté en France, un rapport coût-performance très similaire à celui de la Finlande, du Danemark ou des Pays-Bas. Certains pays dépensent plus que nous : autour de 4 points de PIB au Royaume-Uni et en Irlande. Ils corrigent donc davantage – la pauvreté est divisée par deux –, mais avec un taux de pauvreté final bien supérieur au nôtre.
Nous dépensons en revanche plus que l’Allemagne, mais nous sommes plus efficaces ! Le taux de pauvreté avant transfert est similaire dans les deux pays (autour de 25 %), mais la pauvreté après prestations sociales est de 14,2 % en France, contre plus de 16 % en Allemagne. Nos simulations montrent d’ailleurs que si l’on appliquait le système allemand en France, la pauvreté augmenterait de 1,2 point dans notre pays !
Le gouvernement agite le chiffon rouge du poids budgétaire croissant des aides sociales. Mais il oublie de rappeler que c’est une conséquence logique de la crise. Le coût du RSA augmente avec le nombre d’allocataires… qui suit étroitement la courbe du chômage. Notre système social a non seulement un bon « rendement » redistributif, mais il a permis de contenir la hausse de la pauvreté liée à la crise économique. Entre 2008 et 2014, le taux de chômage est passé de 7,4 % à 10,3 %, le taux de pauvreté également, mais beaucoup plus lentement (de 13,1 % à 14,1 %). Les aides ont donc joué leur rôle de « stabilisateur social ».
La suite du débat porte sur la simplification. Il faut, en effet, revoir cet empilement de dispositifs et la cohérence du système. On parle depuis longtemps de l’intégration de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) au RSA. On peut aussi penser à réformer les allocations logement : conçues comme un soutien aux locataires modestes, on sait qu’une majorité de ces aides est captée par les propriétaires à travers la hausse des loyers. Les intégrer au RSA sous forme de « majoration logement » permettrait de limiter ce biais.
Simplifier n’est pas une finalité en soi
Par ailleurs, rien ne justifie que la condition de ressources pour allouer une aide sociale varie entre les différents dispositifs, comme c’est le cas actuellement. Mais attention : simplifier n’est pas une finalité en soi. D’une part, la multiplicité des aides reflète parfois la prise en compte de besoins spécifiques comme le handicap. De l’autre, simplifier n’est pas synonyme d’économies, sauf si l’on abaisse le montant total perçu et, au final, le niveau de vie des plus pauvres. Tout est affaire de redistribution. Selon l’Insee, le revenu des 10 % les plus riches était environ six fois supérieur à celui des 10 % les plus pauvres au début des années 2000. Il est aujourd’hui sept fois plus élevé…
La dernière tentative pour économiser aux dépens des pauvres consiste alors à pointer du doigt la fraude aux aides sociales. Cette fraude, intentionnelle ou non, n’est pas nulle : elle atteint environ 250 millions d’euros. Il ne s’agit cependant que de 1 % de la dépense globale, une perte minime au regard de l’impact vital de ces aides. C’est surtout modeste au regard de la fraude sociale liée au non-paiement des cotisations par les entreprises, et une goutte d’eau comparé à la fraude fiscale.
Plutôt que d’économiser des bouts de chandelle sur les plus pauvres, le gouvernement ferait bien de mettre à plat les données du problème et de proposer un contrat social conciliant véritablement efficacité et justice sociale.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire