Dans sa chronique, Stéphane Foucart, journaliste au « Monde », rappelle que diverses études et données suggèrent un déclin récent de nos capacités cognitives.
Chronique. La dégradation ou les changements de notre environnement nous rendent-ils plus bêtes ? Ou, à tout le moins, peuvent-ils faire baisser notre quotient intellectuel (QI) ? Une récente étude publiée dans les Proceedings of the National Academy of Sciences, et dont Le Monde a rendu compte sous la signature de Nathaniel Herzberg, a remis cette idée en lumière.
Selon Ole Rogeberg et Bernt Bratsberg (Centre for Economic Research, Oslo), les deux auteurs de cette analyse, l’érosion du QI des conscrits norvégiens depuis le milieu des années 1990, qui intervient après des décennies de croissance, est due à l’environnement au sens large (éducation, nutrition, pollutions diffuses, écrans, etc.) et n’est pas explicable par d’autres facteurs, liés à des dynamiques sociales.
A notre connaissance, la Norvège et la Finlande sont les deux seuls pays disposant de données solides sur l’évolution du QI de l’ensemble de leur population, génération après génération. Tous les jeunes conscrits passent en effet, chaque année, des évaluations standardisées de leurs capacités cognitives. Et, dans ces deux pays, on note une érosion significative du QI depuis le milieu des années 1990. D’autres données, bien plus fragiles car réalisées sur de petits échantillons, suggèrent aussi un déclin récent du QI en France, et dans quelques autres pays.
Pourquoi un tel déclin, s’il est avéré ? Une très grande diversité de facteurs (éducation, taille des familles, etc.) entrent en ligne de compte dans l’augmentation ou le déclin du QI. Mais la conversation publique s’est récemment focalisée sur des causes chimiques. Certains métaux lourds (plomb, mercure…) ou perturbateurs endocriniens (pesticides, retardateurs de flamme…) imprégnant à bas bruit la population générale, pourraient altérer la construction cérébrale, assurent certains chercheurs.
Argumentaire trompeur
Cette alerte serait fantaisiste, rien de moins qu’une « fake news »,a-t-on pu lire ici ou là, sous la plume de deux neuropsychologues. Pas de quoi s’inquiéter, disent-ils. D’abord, une vaste méta-analyse publiée en 2015 dans la revue Perspectives on Psychological Science, couvrant la période 1909-2013 et rassemblant des données de 31 pays, ne montre pas de déclin. Ensuite, ajoutent-ils, l’étude qui suggère une baisse du QI en France a été conduite sur un échantillon trop petit (79 personnes) et est sujette à caution. Et puis les Etats-Unis voient, eux, leur QI moyen continuer de monter dans les années récentes – or l’exposition de la population à des polluants n’y est pas moins importante qu’ailleurs…
C’est peu de dire de cet argumentaire qu’il est trompeur. La grande méta-analyse mondiale qui ne montre aucun déclin du QI jusqu’en 2013 ? En réalité, elle n’a pris en compte presque aucune donnée strictement postérieure au milieu des années 1990 ! Seuls une dizaine des plus de 500 échantillons utilisés dans l’étude ont été évalués sur une plage de temps débutant après 1995. Et cette dizaine d’échantillons ne concernent que trois pays : l’Arabie saoudite, l’Allemagne et le Brésil.
En clair, la méta-analyse en question est certes très utile pour estimer les gains continus de QI tout au long du XXe siècle – un phénomène bien connu sous le nom d’« effet Flynn », du nom de son découvreur, James Flynn –, mais elle ne dit rien ou presque de ce qui se produit depuis 1995. Par ailleurs, elle mentionne bien l’amélioration de l’environnement comme l’une des causes à l’augmentation du QI aux Etats-Unis dans la seconde moitié du XXe siècle : le retrait du plomb de l’essence a fait baisser la contamination de la population par ce neurotoxique avéré…
Quant à l’étude française suggérant un déclin récent du QI, est-elle vraiment fondée sur un échantillon trop petit (79 individus) pour être décisive ? Indéniablement. Mais qu’en est-il des Etats-Unis où, assurent nos deux neuropsychologues, le QI continue d’augmenter ? Il semble bien que cette augmentation récente du QI outre-Atlantique soit fondée sur des échantillons (respectivement de 126 et de 240 individus) tout aussi minuscules, vu la taille et la diversité de la population américaine – ce que les deux intéressés se gardent bien de préciser…
Exposition à des pesticides
La question de savoir si le QI baisse ou non, en France ou ailleurs, est en réalité accessoire. A l’exception de la Norvège et de la Finlande, il est illusoire d’espérer avoir dans un avenir proche la moindre certitude absolue. L’important est plutôt de savoir si l’environnement peut peser sur les capacités cognitives d’une population. Or c’est non seulement possible, mais hautement probable. Un grand nombre de travaux, aux confins de l’endocrinologie et de la neuro-toxicologie vont dans ce sens.
Plusieurs cohortes mère-enfant ont par exemple été suivies ces dernières années et indiquent que les enfants les plus exposés in utero à des pesticides organophosphorés, des retardateurs de flamme (comme des PBDE ou des PCB), présentent des QI plus faibles que les moins exposés, toutes choses égales par ailleurs.
A partir de ces données et des données d’imprégnation moyenne de la population, une équipe de chercheurs internationaux a publié en 2015, dans le Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism, une étude estimant à 13 millions de points de QI le potentiel cognitif perdu en Europe chaque année, du fait de l’exposition aux seuls pesticides organophosphorés – soit une moyenne d’environ 2,5 points de QI perdus par enfant qui naît en Europe ! D’autres ont publié, en 2016 dans le Lancet Diabetes & Endocrinology, de semblables estimations pour les Etats-Unis : ce serait quelque 11 millions de points de QI qui y seraient annuellement perdus du fait des seuls PBDE.
C’est une idée difficile à admettre pour un grand nombre d’entre nous, mais notre intelligence est, aussi, le fruit de notre environnement.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire