Dans « Si », l’écrivaine raconte le cancer de son fils de 10 ans, leur combat. Et témoigne de ce que l’épreuve lui a révélé d’elle-même.
LE MONDE | | Par Florence Bouchy (Collaboratrice du « Monde des livres »)
Si, de Lise Marzouk, Gallimard, 320 p.
Au moment où elle apprend la maladie de son fils aîné, Lise Marzouk a déjà publié quelques livres, fruits de ses recherches universitaires en littérature sur les mythes et l’imaginaire. Mais aucun roman ni récit. L’année qu’elle passe aux côtés du petit garçon de 10 ans, hospitalisé à l’Institut Curie, à Paris, pour un lymphome, ne lui en laisse guère la disponibilité d’esprit, quand bien même l’écriture serait dotée de vertus cathartiques. « Je pourrais écrire, admet-elle. Tenir une sorte de journal, y raconter le quotidien, y explorer mes états d’âme. (…) Je pourrais le faire, mais je n’en ai ni l’occasion ni l’envie. Cela me paraît inadapté à l’Institut. Trop lent et laborieux. Trop réflexif également. (…) Qui sait en effet ce qu’il adviendrait si je me mettais à interroger mon expérience ? Il me semble que ma force actuelle se nourrit de trop d’inconscience pour prendre un tel risque. »
« “Il n’y a pas de si” »
Elle se promet néanmoins, « si son fils s’en sort vivant »,d’interroger « cette énergie étrange qui la porte dans le combat ». C’est ce qu’elle fait dans ce beau récit, sobrement intitulé Si, en souvenir de l’éventualité sans cesse repoussée. « Ça se guérit »,avait-elle expliqué à sa fille. « Et si on n’y arrive pas ? », s’était inquiétée la petite sœur du malade. « “Il n’y a pas de si”, avait tranché la mère. Je ne mens pas. Je ne parle plus de la maladie, du traitement, des risques. Je parle de ma guerre, de ma stratégie, de mon plan d’attaque. Et dans cette guerre, il n’y a qu’une seule issue possible. »
Lise Marzouk relate donc, chronologiquement, les étapes de ce combat mené en famille, la nécessité de maintenir un semblant de vie quotidienne avec ses autres enfants, la recherche de la bonne distance – aimante mais jamais étouffante – avec son fils malade. « C’est donc cela avoir un enfant malade, se dit-elle. Mener une double vie, jongler entre l’ordinaire et l’extraordinaire, entre la normalité et l’anomie. Ironie de ce sort, c’est le quotidien qui devient secondaire, tandis que l’autre, l’intrus, le parasite, se fait central, lancinant et omnipotent, vampirisant l’espace physique, mental et social. » Elle analyse les effets de la maladie de son fils sur son entourage, sur ses camarades d’école. Retranscrit les propos de certains de ses amis ou ceux de parents d’autres élèves : « On en a marre de cette histoire de cancer. Ça met une mauvaise ambiance dans le quartier. On voudrait être tranquilles », s’exclame l’un d’eux.
Renaissance d’une femme
Admirable de précision et de délicatesse, le texte de Lise Marzouk n’est pas un simple témoignage. Alternant récit personnel et narration à la troisième personne, l’écrivaine réussit à glisser progressivement du simple compte rendu d’une expérience douloureuse à l’analyse distanciée du rôle joué par chacun dans ce drame. Et à interroger, comme elle se le proposait, les ressorts de son énergie, qu’elle relie à son histoire familiale. Au rôle qu’elle a elle-même dû endosser dans sa fratrie.
Elle comprend peu à peu pourquoi « elle n’a jamais été dotée de volonté et de force que pour autrui. Pourquoi il lui a fallu, toujours, écouter, aider, distraire et supporter. Pourquoi elle n’a pas commencé d’exister véritablement à ses propres yeux ». Récit de maladie, Si est de la sorte tout à la fois l’évocation du parcours victorieux d’un enfant pour entrer en rémission et celle de la renaissance d’une femme qui, grâce au courage de son fils malade, apprend enfin à prendre soin d’elle-même.
Lire un extrait sur le site des éditions Gallimard.
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