La commune du Var dirigée par un maire Front national accueille, depuis janvier, une vingtaine d’Afghans et de Soudanais.
LE MONDE | | Par Sofia Fischer (Le Luc-en-Provence, envoyée spéciale)
(Il est toujours trop tôt pour désespérer ... note du blogger)
C’est une ville ouvrière qui a un peu mal vieilli, comme beaucoup de communes qui bordaient autrefois la mythique nationale 7. Au Luc-en-Provence (Var), communément appelée « Le Luc », cinq mois après l’implantation d’un Centre d’accueil et d’orientation (CAO) pour migrants, on semble avoir oublié la véhémence des propos tenus par une partie des quelque 10 500 habitants pendant l’hiver.
« Ma foi, ça se passe bien », déclare Pascal Verrelle, le maire Front national (rebaptisé Rassemblement national, RN) de la ville, élu en 2014. Plus un mot aux conseils municipaux, pas un tag sur les murs du centre. Et à l’évocation du sujet, les habitants haussent les épaules, comme s’ils avaient oublié les débats d’hier.
Pourtant, lorsque la préfecture a annoncé à l’automne 2017 l’implantation du CAO, à un kilomètre du centre-ville, beaucoup d’habitants ont cru « qu’on allait (les) enfoncer encore plus loin dans la merde ». Motions votées en conseil municipal, recours, discours haineux tenus dans la presse et ailleurs : le maire et les habitants ont tout fait pour interdire l’arrivée des trente jeunes hommes dans cette ville où un tiers seulement des habitants est éligible à l’impôt et où le taux de chômage avoisine les 17 %.
Une pétition qui a recueilli 1 600 signatures a circulé pendant l’hiver, relayée par le maire dans ses réseaux privés. Certains gérants de bar en gardaient un exemplaire sous le comptoir pour la faire signer aux clients. Dans les commentaires de sa version en ligne sur Change.org, certains parlent de « sauvages » qu’il faut passer « au four crématoire ».
Une « charte anti-migrants »
Dans le centre-ville, où les rideaux métalliques se baissent peu à peu, les commerçants sympathisants RN disent être toujours « contre la politique migratoire du pays » mais ne s’opposent plus au CAO. Sylvie Gueviguian tient une boutique de produits frais locaux, dans laquelle les jeunes hommes viennent parfois acheter quelques légumes. Elle a signé la pétition et le regrette aujourd’hui.
« J’avais peur qu’ils fassent le désordre, qu’ils taguent mon magasin. Mais en fait, ce sont de jeunes hommes polis et respectueux, constate-t-elle.Je pense qu’on aurait dû attendre avant de signer. Là, on a jugé sans savoir. »
Plus loin, sur le parking de l’hypermarché Leclerc, à une centaine de mètres du centre d’accueil, Renée et Pierre (les prénoms ont été modifiés) regrettent eux aussi d’avoir signé la pétition. « Finalement, ce sont des êtres humains comme les autres », lâchent-ils.
Durant tout l’automne, Pascal Verrelle a envoyé des courriers au préfet, aux sénateurs et aux députés pour empêcher l’ouverture de ce CAO, vécue comme « une provocation », assure le maire varois, persuadé de « payer cher son étiquette politique ». En 2016, l’édile avait fait voter une « charte anti-migrants » en conseil municipal.
Lors de la dernière réunion municipale de l’année 2017, le 14 décembre, il a fait voter une motion « pour demander au préfet le retrait de l’implantation d’un CAO ». Dans cette motion adoptée par 27 voix (contre deux) figure notamment un passage définissant ces hommes comme ayant « une sexualité (qui) pose souvent problème ». L’opposition de droite, conduite par Dominique Lain, conseiller départemental du Var, absent ce soir-là, a voté pour.
« Un élan de solidarité »
La motion n’a été suivie d’aucun effet, la mairie ne pouvant juridiquement pas s’opposer à l’implantation du centre, ordonnée par la préfecture. Le bâtiment réquisitionné n’appartient pas à la commune. Vingt-cinq hommes ont donc débarqué d’un bus de La Seyne-sur-Mer, mi-janvier, accueillis dans le quartier populaire de la Retrache par les forces de l’ordre.
Au départ, les nouveaux habitants à majorité Afghans et Soudanais ont dû se faire discrets. Marjolaine, qui gère le centre, avait conseillé aux hommes de rester par petits groupes de deux ou trois, pour éviter l’effet « meute ». Mais elle a finalement été « surprise par le très bon accueil. Paradoxalement, la violence du débat a généré un élan de solidarité de la part de certains habitants, raconte la jeune assistante sociale. Il y a plein de bénévoles qui se sont présentés en soutien pour dire nous, nous ne sommes pas contre ». Parmi eux, le collectif Ensemble pour Le Luc. Roger Depierre, retraité et membre du collectif, reconnaît avec Jacques Sedes et Maria Salicis qu’ils se sont sentis « salis » par le discours de la mairie, et ont « riposté » en organisant des cours de français.
Le maire, lui, assure « tout faire désormais pour que les choses se passent bien ». Alors que la ville se préparait pour la Fête des cerises, fin mai, l’édile a demandé aux agents de déposer des flyers devant le centre, pour inviter les migrants à se joindre aux festivités. « Maintenant qu’ils sont là, on va pas les laisser à part ! » Et quand on lui demande s’il a, lui aussi, changé d’avis, il répond : « Je suis toujours opposé à la venue de ces gens en France, alors que nous n’avons pas de quoi loger nos SDF. Mais mes positions FN, c’est pour les dîners entre amis. Je suis Pascal Verrelle, maire du Luc, et pas seulement maire FN du Luc. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire