Enceintes ou avec un enfant, des adolescentes témoignent de leurs difficultés et de leurs aspirations. Le Samely suit 180 mères par an en Ile-de-France.
Vêtements éparpillés, objets amoncelés… Un foutoir typiquement adolescent règne dans la chambre de Rokya (tous les prénoms ont été modifiés), 16 ans. Au mur, une seule décoration : son diplôme du brevet. « J’en suis très fière, j’ai eu une mention alors que je l’ai passé enceinte », explique la jeune fille. Juste au-dessous est installé le berceau d’Aïssata, 10 mois, calé entre le lit de sa mère et une pile de cartons de couches. En cette fin d’après-midi, le bébé est encore à la crèche. Les petites sœurs de Rokya, âgées de 12 et 6 ans, jouent dans le salon. Leur mère à toutes les trois et grand-mère d’Aïssata est au travail. « Elle est un grand soutien pour moi,confie la jeune fille. Même s’il arrive qu’on s’embrouille, parfois j’ai l’impression qu’elle veut prendre ma place. »
Combien de fois Rokya n’a-t-elle pas entendu qu’elle était trop jeune pour avoir un enfant ? « Quelle bêtise que tu as faite ! », lui a dit sa mère. A l’hôpital, l’anesthésiste lui a imposé une péridurale parce qu’elle n’avait « pas l’âge de décider ». Sa famille au Mali la considère « comme une prostituée » car elle n’est pas mariée. Mais Rokya se trouve mieux sans le père, qui ne s’implique pas beaucoup auprès de l’enfant. Agé de vingt ans de plus qu’elle, il était son premier amour, et son premier amant. « J’étais naïve, poursuit-elle. Je pensais qu’on ne pouvait pas être enceinte la première fois. »
Elle a envisagé d’avorter, mais « ce n’était pas dans (s)es convictions ». Elle s’est sentie mère « à part entière » dès qu’elle a eu le bébé sur la poitrine. « Certaines personnes disent que je suis courageuse. Moi je dirais plutôt que j’assume ce que j’ai fait. » Le plus compliqué pour Rokya, c’est le lycée. Elle est en seconde générale à Paris. « Les profs ne sont pas très tolérants », regrette la jeune mère. Il faut dire qu’elle a manqué beaucoup de cours. Elle invoque son suivi médical, celui de l’enfant, et le programme qui ne la motive pas.
« Le risque de voir l’enfant placé est important »
Assise en face de Rokya, Audrey Warembourg, sa référente du service d’accompagnement des mères lycéennes (Samely), parle de la réorientation souhaitée par la jeune fille. Créé en 2013, le Samely suit 180 mères adolescentes chaque année en Ile-de-France. Leur moyenne d’âge est de 17 ans – même si les plus jeunes, peu nombreuses, ont entre 13 et 15 ans. Son but : aider ces jeunes filles à poursuivre leur scolarité.
Financé par la région Ile-de-France et le Fonds social européen, il émane des Pupilles de l’enseignement public (PEP), une association qui organise la scolarité à domicile des élèves malades. « Dans le cadre de ce dispositif, nous nous sommes rendu compte que les trois quarts des jeunes mères quittaient l’école dans les deux années suivant la naissance », explique Florence Cornu, directrice des PEP 75. Un phénomène aux conséquences potentiellement lourdes. « Sans formation ni ressources, cette population déjà fragile peut rapidement basculer dans la précarité, argumente Mélanie Jacquemond, la coordinatrice du Samely. Le risque de voir l’enfant placé est important. L’enjeu est aussi d’éviter la reproduction. Plus la jeune mère est insérée dans la vie sociale, plus l’enfant le sera. »
Mais l’annonce d’une grossesse est souvent un coup de tonnerre dans leurs vies. Sophie, 18 ans, est enceinte de quatre mois et demi – pour ne pas influencer le choix de garder ou non l’enfant, le Samely intervient toujours après le délai légal d’interruption volontaire de grossesse. Elle était en plein bac blanc quand elle a appris sa grossesse et a trouvé « trop dur » d’avorter. Avec 15 de moyenne générale, c’est une bonne élève, qui prévoyait de se lancer dans des études supérieures. « Je voulais être infirmière puéricultrice, mais c’est trop long !, s’inquiète la jeune fille. Je ne peux pas rester quatre ans sans revenus. » Le père est prêt à s’occuper de l’enfant, ce qui n’est pas la norme. Dans un tiers des cas seulement, le père, ou un homme qui assume ce rôle, est présent auprès de la future mère.
Regard bienveillant
Mélanie Jacquemond propose à Sophie un accompagnement : des rendez-vous réguliers pour faire le point sur la scolarité et l’orientation, un lien avec le lycée, un soutien dans les démarches administratives notamment pour trouver un mode de garde… Des séjours collectifs de révisions, plébiscités par les jeunes filles, sont également proposés. Le suivi, de six mois renouvelables, peut aller jusqu’à deux ans. Cet accompagnement semble porter ses fruits. Les jeunes suivies poursuivent leur scolarité à 80 % la première année après la grossesse et 60 % la deuxième. « Quand on leur donne une impulsion, elles obtiennent leurs diplômes, observe Florence Cornu. Quitte à se faire des emplois du temps de ministre. »
La force du Samely est de s’adapter à son public. « Il ne faut pas être rigide sur les horaires », sourit Justine Mareau, référente de l’association en Seine-et-Marne. Natha, 18 ans, et sa fille Gabriella, 8 mois, ne sont pas au rendez-vous prévu à côté du lycée. La jeune fille, qui vit chez sa mère avec ses quatre sœurs, et dépend d’elles pour la garde du bébé, a été retenue chez elle. « Il y a toujours des imprévus », explique-t-elle, assise sur un banc en bas de son immeuble, où Justine Mareau est venue la retrouver. Natha apprécie l’aide de ses proches mais regrette que son bébé soit un peu celui « de toute la famille ».
« Natha a besoin d’être rassurée autant sur ses compétences de mère que d’élève », observe Justine Mareau. Elle a la chance d’avoir trouvé un regard bienveillant au sein du lycée qui la prépare au bac. Son rêve est de trouver un mode de garde pour son bébé et un logement à elle. Elle a demandé une place dans une structure d’hébergement pour mères isolées. « Il n’existe aucun lieu réservé aux mères mineures ou très jeunes majeures. C’est une population invisible », regrette Florence Cornu.
« Ma mère a paniqué »
« Les grossesses précoces, c’est encore tabou », renchérit Mélanie Jacquemond. Le plus souvent, l’événement est considéré comme un échec de l’accès à la contraception. Pourtant, comme Natha, beaucoup de jeunes filles prenaient la pilule. Mais elle n’a « pas marché », dit-elle. La pilule du lendemain non plus. « Je me suis tout de suite dit : je le garde », relate Natha.
« Le taux de grossesses adolescentes est stable, alors que les jeunes filles sont aujourd’hui très bien informées. Ce qui est parfois un accident au niveau conscient peut relever d’un désir inconscient », relève Justine Mareau. Avoir un enfant très jeune peut être un moyen de combler une carence affective, de prendre une place nouvelle dans sa propre famille, de s’affirmer en devenant plus rapidement adulte… Amina, 18 ans, admet cette ambivalence. Son petit Sékou, 6 mois, est arrivé « par hasard ». « J’étais à la fois contente, parce que j’aime les bébés, et triste parce que je ne voulais pas décevoir mes parents, raconte-t-elle. Ma mère a paniqué. Pour elle, c’était les études avant tout. »
Le père, son petit ami depuis trois ans, sera bientôt son mari. Ainsi en ont décidé leurs familles. Amina ne se voit pas pour autant mère au foyer. « Je veux une situation, pour ne pas dépendre d’un homme », affirme-t-elle. Elle compte bien obtenir le BTS comptabilité et gestion où une place l’attend, après avoir réussi son bac alors qu’elle était enceinte. « Franchement, je suis fière de moi », sourit-elle, son bébé dans les bras.
Des naissances stables chez les moins de 15 ans
Environ 150 enfants naissent chaque année de mères âgées de moins de 15 ans, un chiffre stable depuis les années 1980. Chez les jeunes femmes âgées de 15 à 19 ans, ce nombre a en revanche fortement chuté sur la même période, passant de plus de 50 000 à environ 19 000 en 2013 (DOM compris), selon une enquête de l’Institut national de la jeunesse parue fin 2016. Le taux de fécondité des 15-19 ans (environ 10 naissances annuelles pour 1 000 femmes de cette tranche d’âge) s’est stabilisé depuis le début des années 2000. Il est beaucoup plus élevé en Grande-Bretagne (18 pour 1 000) et aux Etats-Unis (30 pour 1 000) selon l’Institut national d’études démographiques.
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