Des professionnels de santé interpellent les pouvoirs publics sur la surexposition des mineurs aux films X.
L’appel se veut « solennel ». Plusieurs professionnels de santé, dont le président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, Israël Nisand, qui s’exprime au nom de cette institution, ont interpellé les pouvoirs publics, vendredi 15 juin, sur les dangers de l’exposition à la pornographie pour les enfants et les adolescents. « Nous demandons simplement le respect de la loi qui interdit la pornographie aux moins de 18 ans, résume le professeur Nisand. Aujourd’hui, c’est le business qui prime. Les fournisseurs d’accès ne peuvent pas, sous prétexte de la liberté du Net, s’affranchir de la protection des mineurs. »
C’est la première fois que des professionnels de santé s’inquiètent publiquement de l’accès de plus en plus banalisé aux images pornographiques chez les jeunes. Les films, gratuits et accessibles en un clic, sont visionnés principalement par le biais des smartphones, qui échappent aux regards des parents. La rencontre avec des images pornographiques peut se produire dès le plus jeune âge, dans la cour de récréation du primaire, parfois de façon non souhaitée, lorsqu’un enfant les met sous les yeux d’un autre, ou qu’une fenêtre intempestive s’affiche.
Selon un sondage Opinionway pour 20 Minutes publié en avril, 62 % des jeunes adultes déclaraient avoir vu leurs premières images porno avant 15 ans, dont 11 % avant l’âge de 11 ans. Une exposition que les parents ont tendance à sous-estimer. Une étude Ipsos sur les addictions, rendue publique vendredi 8 juin par la Fondation pour l’innovation politique, relance l’inquiétude. Un cinquième (21 %) des jeunes de 14 à 24 ans interrogés regarde au moins une fois par semaine du porno. Surtout, 9 % des 14-17 ans regardent ces images une ou plusieurs fois par jour. « Un jeune sur dix, c’est un chiffre élevé, surtout pour cet âge, commente Victor Delage, chargé des études à la Fondapol. L’enquête met en évidence un phénomène de polyaddictions. Ceux qui consomment beaucoup de porno passent aussi beaucoup de temps sur les réseaux sociaux et sur les jeux vidéo. Cela peut avoir des conséquences sur leurs résultats scolaires et générer un isolement social. »
Modèle à atteindre
Le psychiatre Serge Hefez, responsable de l’unité de thérapie familiale à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, participe à l’initiative. « Je vois de plus en plus de jeunes qui s’enferment dans un huis clos avec les images pornographiques, relate-t-il. Le schéma est le même que dans les autres addictions. L’excitation monte, retombe, remonte, etc. Cela ne relève plus du désir mais du besoin. » Les conséquences ? « La vision répétitive de ces images devient inhibitrice, poursuit-il. Elle remplace la vie sexuelle. Les jeunes concernés reculent devant un apprentissage de la sexualité plus progressif et délicat où l’on vainc l’inhibition à deux. »
Cependant, il s’agit d’une minorité. « Tous les jeunes ne sont pas en danger, tempère le médecin. Beaucoup prennent leur distance face à ces images. Mais ceux qui sont mal dans leur peau vont s’en emparer. » Le psychiatre a surtout été confronté à des garçons dans ce cas. La gynécologue Ghada Hatem voit de son côté surtout des jeunes filles à la Maison des femmes de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), une structure consacrée à la prise en charge des victimes de violences, où se déroulent également les consultations du Planning familial.
« Nous voyons beaucoup d’adolescentes qui ne connaissent pas leur corps, en situation d’emprise, à qui leurs petits amis font faire des choses avec lesquelles elles ne sont pas d’accord, relate-t-elle. Des façons de faire l’amour, avec des objets, à plusieurs, en pratiquant la sodomie. Ce sont des pratiques banalisées par la pornographie. »
Au cours des séances d’éducation à la sexualité qu’elle anime en Seine-Saint-Denis, Ghada Hatem a constaté un accès généralisé de ces films. « Il devient impossible d’y échapper, résume-t-elle. C’est devenu le modèle dominant. » Or, elles véhiculent une image« dégradante » des femmes, et très stéréotypée de la sexualité. Les sexes des femmes sont intégralement épilés, ceux des hommes surdimensionnés et constamment en érection, l’ordre des actions est toujours le même, les gestes souvent brutaux, les femmes toujours soumises, etc. « Que les adultes les utilisent ne pose pas de problème, affirme Israël Nisand. Mais les jeunes n’ont pas l’appareil critique nécessaire pour se défendre. Comment construire sa propre sexualité, ses propres fantasmes, avec de telles représentations ? »
« Problème de cohérence »
Une étude qualitative menée par la chercheuse Sophie Jehel, publiée en octobre 2017, a mis en évidence une grande diversité de réactions parmi la centaine d’adolescents rencontrés. Certains (surtout des garçons) les considéraient comme un modèle à atteindre. Les filles étaient plus nombreuses à tenir un discours distancié. Une partie des jeunes, en particulier ceux qui se réclamaient d’une religion, manifestaient un rejet très fort et refusaient d’en parler. Le fait d’avoir été tenu à distance de ces images pendant l’enfance, et la qualité du dialogue au sein de la famille favorisent leur mise à distance, conclut l’auteure. L’impact du visionnage de pornographie sur les violences faites aux femmes, qui existaient bien avant sa diffusion à grande échelle, fait débat. Quoi qu’il en soit, les films pornos sont fortement imprégnés de sexisme, selon leurs détracteurs. « On se battrait pour que les femmes ne soient pas harcelées dans la rue, tout en laissant ces vidéos en libre accès à des enfants ?, interroge M. Nisand. Il y a un problème de cohérence. »
Un groupe de travail est en cours au ministère de la santé afin de rendre effective l’interdiction des sites aux moins de 18 ans. Ces professionnels de santé demandent, par exemple, qu’une preuve de majorité soit exigée avant de pouvoir accéder aux images diffusées sur les sites pornos. Ils réclament également la mise en œuvre des trois séances annuelles d’éducation à la sexualité prévues au collège et au lycée. « C’est capital, affirme Ghada Hatem. Il faut libérer la parole, rappeler que le porno, c’est du cinéma, donner un autre modèle, un sens critique. »
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