Tubes de granules d'homéopathiePhoto Emmanuel Pierrot
La polémique reprend de plus belle. Après les contradictions d’Agnès Buzyn sur le déremboursement de ces granules et une tribune virulente de praticiens, l’Académie de médecine a rappelé que cette méthode était «dénuée de fondements scientifiques»
Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, s’est pris les pieds dans l’homéopathie. Un jour, en l’occurrence le 12 avril, interrogée sur son remboursement, elle lâche : «Cette médecine a probablement un effet placebo… Si cela peut éviter des médicaments toxiques, pourquoi pas ? Je pense que nous y gagnons collectivement, ça ne fait pas de mal.» Des propos qui pouvaient être interprétés comme une justification pour le maintien d’un remboursement jusqu’à 30 % par l’assurance maladie. Le 24 mai, léger glissement : «Le problème de l’homéopathie, c’est qu’elle n’a jamais été évaluée par l’assurance maladie comme un médicament. On a décidé de la rembourser sans aucune évaluation scientifique. Peut-être pourrait-elle entrer dans le droit commun et être évaluée», laissant, cette fois, la porte ouverte à un éventuel déremboursement.
La question de l’homéopathie, de son efficacité et de sa prise en charge par la collectivité, est aussi vieille que… l’homéopathie, c’est-à-dire plus de deux siècles. En France, elle s’est toujours posée, et la valse-hésitation d’Agnès Buzyn atteste de l’impossible casse-tête qu’elle constitue pour les autorités. La réponse n’a, de fait, rien d’évident car la médecine ne se résume pas, pour dire les choses vite, à son efficacité scientifique. Fermons le ban, alors ?
«Défiance»
Ce sempiternel débat s’est pris un sacré coup de jouvence le 19 mars. Dans le Figaro, une tribune au vitriol signée par 124 médecins au passé plutôt respectable étrillait les médecines alternatives, avec l’homéopathie pour cœur de cible. Comme s’il y avait péril en la demeure, perdant toute nuance, les signataires parlent de «fake medicines», évoquent des pratiques «ésotériques», «sans aucun fondement scientifique», «nourries par des charlatans» et «basées sur des croyances promettant une guérison miraculeuse».
En tête des pratiques visées, figure donc l’homéopathie. Les signataires crient à l’escroquerie. A leurs yeux, elle est dangereuse, car elle «soigne l’inutile en surmédicalisant la population». Ou : «Cela installe une défiance vis-à-vis de la médecine conventionnelle» et «retarde les diagnostics». Le brûlot conclut : «L’ordre des médecins tolère des pratiques en désaccord avec son propre code de déontologie et les pouvoirs publics organisent, voire participent, au financement de certaines d’entre elles.» Pour les signataires, six mesures s’imposent de toute urgence : ne plus autoriser «à faire état de leur titre les médecins ou professionnels de santé qui continuent à les promouvoir», ne plus reconnaître ces pratiques comme médicales, ne plus les enseigner dans les formations, ne plus les rembourser, mieux informer sur leurs effets et enfin exiger des professionnels de s’en écarter.
«Microcosme»
Bref, c’est brutal. Mais aussi pas très nouveau. La médecine officielle, du moins certains de ses représentants, a souvent eu des mots durs vis-à-vis de l’homéopathie. Le 18 mai, l’Académie de médecine a ainsi rappelé qu’il s’agit «d’une méthode imaginée il y a deux siècles à partir d’a priori conceptuels dénués de fondements scientifiques». «L’homéopathie peut avoir un effet nocif en retardant la consultation d’un médecin ou en dissuadant le patient de rechercher les soins médicaux appropriés, qui seront basés sur des preuves scientifiques», arguaient déjà, en 2017, les experts des académies des sciences européennes. Et de citer l’exemple, en Italie en 2017, d’un enfant de 7 ans mort d’une otite qui avait été uniquement traitée par homéopathie. Ils ajoutaient : «Les préparations homéopathiques posent également, en raison du manque de contrôle de leur production, des problèmes potentiels de sécurité. Aux Etats-Unis, des produits homéopathiques contre les douleurs liées aux poussées dentaires sont soupçonnés d’être à l’origine du décès de dix bébés et de 400 autres incidents ! Les produits contenaient parfois beaucoup plus de belladone que ce qui était inscrit sur les étiquettes.»
A ces arguments scientifiques, froids comme une évidence, s’oppose la chaleur de la confiance. Des patients y croient, des patients disent guérir, et avec eux des médecins les accompagnent en toute bonne foi. Que répondre ? Comme l’a déclaré au Monde, le 23 mai, le très silencieux Christian Boiron, patron du leader mondial du médicament homéopathique, tout cela n’a pas beaucoup d’importance : «Ces polémiques n’intéressent pas grand monde. Peut-être un microcosme. Cela ne change pas un gramme des granules que nous pouvons vendre ou ne pas vendre.»
Et c’est assurément vrai : ces polémiques ne font en rien bouger les lignes, tant la France adore ces petites pilules, comme elle adore les médicaments officiels. Et pourquoi se priver ? Les médicaments homéopathiques ne coûtent pas très cher (2 euros le tube) et pour l’assuré social, entre la Sécu et les mutuelles, cela ne coûte rien. En termes économiques, l’enjeu est donc marginal. Sachant que lorsque la ministre de la Santé a récemment annoncé le déremboursement des médicaments anti-Alzheimer, jugés «inefficaces» mais surtout «dangereux», c’était en ajoutant que la décision n’était en aucun cas liée à une recherche d’économies - qui ne saurait donc être un argument décisif.
«Stress et anxiété»
L’administratrice de Boiron, Michelle Boiron, se montrait récemment sûre d’elle-même : «Il y a plus de 300 millions de personnes dans le monde qui utilisent l’homéopathie et plus de 50 % des Français de plus de 18 ans l’utilisent ou l’ont utilisée. Des preuves de l’efficacité, il y en a. Une grande étude l’a démontré dans des domaines très importants comme le stress et l’anxiété, les troubles musculo-squelettiques ou les problèmes ORL.» Si elle le dit…
Aux Etats-Unis, qui représentent un marché important, le service de répression des fraudes (Federal Trade Commission) a décidé récemment que les médicaments homéopathiques devraient être désormais en mesure de prouver l’efficacité prétendue ; dans le cas contraire, le fabricant doit indiquer en toutes lettres sur la boîte que ceux-ci n’ont pas scientifiquement prouvé leur efficacité. L’été dernier, le Royaume-Uni a décidé, pour sa part, de ne plus les rembourser.
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