Professeur de santé publique, chercheur et psychiatre, Bruno Falissard reconnaît certains bienfaits à l’homéopathie en tant que placebo. Tout en prônant son déremboursement.
Bruno Falissard a un parcours atypique dans le monde de la psychiatrie et de la recherche. Polytechnicien, il fait ensuite sa médecine, devient psychiatre, dans un service plutôt à tendance biologique, puis épidémiologiste. Nommé professeur de santé publique, il dirige aujourd’hui une des équipes de recherche les plus importantes en France, à la Maison de Solenn, au sein de l’hôpital Cochin, à Paris. Il a longuement travaillé sur les médecines dites douces ou parallèles.
Les études scientifiques se suivent et se ressemblent pour montrer le peu d’efficacité de l’homéopathie. Mais rien ne se passe. Il y a toujours deux mondes, ceux qui y croient et ceux qui n’y croient pas.
Cela ne me dérange pas, et cela pour deux raisons. D’abord, cela marche… comme un placebo. Et ce n’est pas rien. Est-ce que tous les placebos ont la même efficacité ? On ne sait pas. Il se peut que ce soit un placebo avec une efficacité plus forte que les autres. Deuxième chose : certes on ne dispose d’aucun élément scientifique, mais comme médecin, que doit-on faire ? Quand on soigne, on doit être rationnel, mais si on guérit les gens en étant irrationnel, doit-on ne rien faire ? C’est plus une question de morale que de science.
C’est-à-dire ?
Essayons de considérer les choses rationnellement. D’abord, quand on croit que dans certaines pathologies le traitement marche bien, alors cela marche mieux. Cela a été montré dans le cas de la dépression. Et moins on se dit que c’est un placebo, plus cela marche. Croire que cela marche améliore l’efficacité. En plus, n’oublions pas que quand on est malade, on croit à des choses bizarres, que la nature est sympathique, que la chimie est dangereuse, que l’esprit peut nous guérir, on a plein de croyances comme cela… et après ? La santé, ce n’est ni simple ni linéaire. Il y a plein de médecins qui ne prennent pas de médicaments. La science montre qu’il y a des choses que l’on n’arrive pas à expliquer. Un placebo peut améliorer la prise en charge de vraies maladies.
Tout est bien alors ?
Peut-être pas. Comme nos collègues qui ont signé la tribune dans le Figaro [lire aussi pages 2-3], on peut estimer qu’une attitude tolérante, ouverte, est un calcul à court terme, et rappeler que la médecine scientifique s’est construite sur une relation de confiance dans la rationalité. Et que si l’on déroge à cette règle, on ébrèche un élément essentiel. De fait, nous sommes face à deux attitudes : une éthique de conviction et une éthique de responsabilité, cela pose un conflit entre ces deux valeurs, et les deux ont raison.
L’homéopathie a-t-elle une place particulière dans les médecines douces ?
Sa particularité est de se présenter sous forme de médicaments quand les autres médecines douces sont souvent des gestes, manipulations, ou injections. En outre, dans l’homéopathie, comme dans la médecine officielle, il y a des firmes pharmaceutiques. Le modèle homéopathique est le plus proche du modèle conventionnel. Cela met les autorités dans une situation inconfortable.
Pourquoi est-ce une spécialité française ?
Le fait que le laboratoire Boiron est français joue sûrement beaucoup sur l’engouement français. Après, on sait que les Français aiment bien les médicaments, une médecine alternative médicamenteuse est donc appréciée… Mais ce n’est là qu’une hypothèse.
In fine, vous êtes pour le remboursement ?
Je suis plutôt pour le déremboursement, mais alors il faut dérembourser tous les médicaments qui ont une efficacité non prouvée, et il y en a un certain nombre. Cela nécessite un débat. Que veut-on rembourser ou pas ? Sur quelle base ? C’est un débat politique.
Certains mettent en avant que l’homéopathie permet aussi de baisser la consommation des autres médicaments.
Oui et on ne peut pas dire que cet argument n’est pas intéressant. Il est même recevable. C’est vrai qu’une médecine ou l’on passe plus de temps à écouter son patient peut faire économiser. Il ne faut jamais oublier que pour un médecin, il est plus difficile de ne pas prescrire que de prescrire.
Faut-il mener de nouvelles études scientifiques ?
Bien sûr, mais il faut arrêter d’en faire contre le placebo. L’homéopathie est un placebo, voilà, la question n’est plus là. La question, c’est le soin thérapeutique, le discours avec le patient qui fait appel à un discours non scientifique… Cela ouvre un champ car la médecine occidentale ne sait pas le faire. On attend de la médecine occidentale qu’elle soit scientifique et technique, et quand elle l’est trop, on ne l’aime plus…
Ce qu’il faut faire, c’est de la vraie recherche clinique, pas de la recherche biologique. Mes collègues ont tort d’attaquer aussi violemment, sans nuance. J’ai eu des contacts avec des homéopathes qui étaient bien, des gens sérieux, ils ne voulaient pas provoquer de perte de chances pour les patients. J’ai le sentiment qu’ils y croient, cela me gêne, mais ils le font sérieusement. Et ce sont des médecins.
Le climat change-t-il ?
Un peu, avec un écart de plus en plus grand entre les positions, avec des raidissements plus forts de toutes parts.
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