Longtemps surnommé « drogue du violeur », le GHB est aujourd’hui souvent consommé de façon volontaire et récréative, comme son cousin le GBL. Mais les risques sont méconnus et les accidents se multiplient.
Samedi soir, Pierre* danse un verre à la main. Pas d’alcool, un simple jus d’abricot commandé au bar d’une boîte de nuit parisienne. Une boisson dans laquelle il a ajouté lui-même, à l’abri des regards, quelques gouttes « d’ecstasy liquide », du GBL.
Le GBL (gamma-butyrolactone) est un solvant à peinture qui, une fois ingéré, se transforme en GHB, longtemps connu sous le surnom de « drogue du violeur » et de plus en plus consommée de manière récréative. Ses effets désinhibants et le sentiment de flottement qu’il entraîne attirent aujourd’hui un jeune public. Pierre l’a testé pour la première fois il y a deux ans :
« L’alcool me fatiguait, je détestais la gueule de bois, alors quand j’ai entendu parler sur des forums de cette drogue en vente sur Internet, j’ai foncé. Même si le goût est désagréable, la relaxation, l’euphorie, l’augmentation de l’appétit et de la libido que le GBL m’apporte en a fait pour moi, très vite, un substitut à l’alcool en soirée. »
« La drogue à la mode »
C’est même devenu « la drogue à la mode », pour Etienne*, un patron d’établissement de nuit parisien qui souhaite rester anonyme pour éviter que son club ne soit stigmatisé. Comme lui, d’autres acteurs de la nuit se sentent « impuissants, isolés et dépassés » face à la multiplication des accidents ces dernières semaines à Paris.
Depuis la fin de décembre 2017, les services de police ont recensé dix cas de « malaises profonds de jeune âgés de 19 à 25 ans survenus dans des établissements de nuit parisiens » et « attribués à une consommation excessive de GBL associée à d’autres produits stupéfiants et à une consommation excessive d’alcool ».
L’inquiétude est telle que le Collectif action nuit (CAN), qui regroupe plusieurs propriétaires d’adresses festives, a envoyé, à la fin du mois de mars, une lettre ouverte aux ministères de l’intérieur et de la santé.
« Nous avons déjà mis en place les mesures qui sont nécessaires à la prévention, à la gestion des risques [sécurité, formation de premiers secours, pédagogie…], assure Frantz Steinbach, l’un des porte-parole du collectif. Nous demandons maintenant que ce qui se passe en dehors des établissements soit pris en compte. Sur Internet, en moins de deux minutes, vous pouvez passer commande. » Le collectif réclame une « évolution du cadre réglementaire » face à « un problème de santé publique » qui les dépasse.
« Nettoyant pour jantes automobiles »
En effet, si depuis 2011 un arrêté du ministère de la santé interdit la vente et la cession au public du GBL, une simple recherche Internet mène à des sites domiciliés hors de France et proposant une large gamme de « nettoyants pour jantes automobiles ».
Simplement muni de sa carte bancaire, n’importe qui peut se procurer des bouteilles de GBL garanti pur à 99,99 %. A 70 euros le litre, le calcul est rapide : une dose coûte environ 7 centimes à l’usager. Un prix dérisoire qui explique, en partie, ce succès. Et la multiplication des accidents.
A la fin de décembre 2017, deux femmes de 18 et 20 ans perdent connaissance après avoir consommé du GBL aux Nuits fauves, club du 13e arrondissement. Elles passeront leur nuit à l’hôpital, placées en coma artificiel. L’homme leur ayant fourni le flacon, également hospitalisé ce soir-là, a été condamné à six mois de prison avec sursis pour « usage de stupéfiants » et « détention de substances vénéneuses », dans le cadre d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Le 15 mars, trois jeunes de 19 ans font un malaise en sortant du Rex club, célèbre boîte de nuit du 2e arrondissement. Ils seront hospitalisés. Selon une source judiciaire au Monde, une enquête a été ouverte par le parquet de Paris pour « blessures involontaires » et « trafic de stupéfiants ».
Chaque fois pris en charge dans un état préoccupant, ils ont, depuis, tous repris connaissance et pu sortir de l’hôpital. Tous, sauf un homme de 24 ans ayant fait une overdose le 10 mars au Petit bain (13e). Après quinze jours dans le coma, il est mort le 25 mars à l’hôpital de la Salpêtrière. Son ami, qui s’était réveillé dès le lendemain de l’accident expliquera avoir bu une bouteille trouvée dans l’établissement du quai d’Austerlitz. Ce qu’ils pensaient être de l’eau était en fait du GBL. Identifié par les enquêteurs, le propriétaire de la bouteille a été mis en examen pour « homicide involontaire » et « trafic de stupéfiants », a-t-on appris de source judiciaire.
« Des accidents tous les soirs »
Pour le CAN, la seule réponse apportée par les pouvoirs publics à ces incidents a été la fermeture administrative. En 2018, six établissements en ont fait l’objet (soit autant que pour toute l’année 2017) et trois autres procédures sont en cours. Des décisions qui touchent directement au porte-monnaie des établissements. « On ne peut pas dire : “On va régler ça en fermant quinze jours un établissement et il n’y aura plus de problème, le GBL n’existera plus.” », regrette Frantz Steinbach.
Le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, se défend de tout « fait du prince », y opposant « la stricte application de la loi de la République ». Pour lui, ces décisions « permettent de faire prendre conscience aux exploitants de la situation ».
« Une fermeture administrative, ça n’impacte pas le public, fait cependant remarquer Nicolas Buonomo, coordinateur de Fêtez clairs, un programme de prévention des risques liés à la fête, financé par la Mairie de Paris et la Préfecture de Paris, qui intervient auprès des clubs. Si les gens veulent vraiment consommer de la drogue, au lieu d’aller aux Nuits fauves parce que c’est fermé, ils iront dans un autre lieu. »
« C’est flippant », abonde Etienne*, le patron de boîte de nuit :
« Tous les soirs, on doit gérer des accidents liés à cette drogue ; souvent, ce sont des jeunes de 18 à 23 ans, pas plus. Ils prennent ça sans se renseigner et mettent leur vie en danger, celle de leurs amis et entraînent la responsabilité du club. »
Pour Nicolas Buonomo, ces accidents résultent du manque de connaissances de beaucoup de jeunes consommateurs. « Il ne faut pas boire d’alcool, six heures avant et six heures après avoir absorbé du GBL », explique-t-il. Mais cette règle est rarement respectée :
« Il y a déjà eu des accidents avec des jeunes qui avaient beaucoup bu et qui une fois alcoolisés se sont dit “Tiens on va essayer”. Mais là, le mélange est fatal. »
Risques d’overdose
Détourné en drogue, le produit, également utilisé pour nettoyer les graffitis, nécessite un dosage extrêmement précis. Au-dessus de 1 ml, une dose peut être synonyme d’endormissement pendant quelques heures. Une quantité légèrement supérieure peut entraîner une overdose : ralentissement du rythme cardiaque, dépression respiratoire, convulsions. Un risque d’addiction existe aussi.
Jeune employé dans le milieu de la culture, Sofiane* admet en prendre régulièrement : « Cela varie en fonction des périodes de travail, de vacances, de stress et de pression. Ça peut varier entre une prise par soir et quatre en week-end. » Pour autant, il apprécie les effets que cela procure :
« Psychologiquement, on se sent plus détendu, plus motivé et plus ouvert aux choses qui nous entourent. On devient bizarrement plus positif. Cette drogue accroît toutes nos pulsions et nos envies. »
S’il n’en consomme que dans une sphère privée, il regrette de voir les accidents se multiplier chez « des jeunes qui prennent du GBL en club et le mélangent directement dans leur verre d’alcool ».
Table ronde à la préfecture
Un mois après l’alerte formelle des établissements et alors que la colère se faisait croissante dans le milieu, la préfecture a réuni lundi 16 avril tous les acteurs concernés (autorités sanitaires, patrons d’établissement, Mairie de Paris) sur l’île de la Cité.
Au cours de cette table ronde, le préfet a mis l’accent sur les pistes juridiques à explorer pour limiter l’accès à ces produits sur Internet, le renforcement du partenariat avec les établissements de nuit ou encore la responsabilisation des consommateurs. Après presque deux heures de réunion, Renaud Barillet, membre du CAN et notamment fondateur de la Bellevilloise, a salué « la prise de conscience des pouvoirs publics ». « On a la sensation que l’Etat, par la voix du préfet, prend note de notre alerte. Espérons que ça soit suivi d’effets. »
« La prévention telle qu’on la fait actuellement ne suffit peut-être pas », s’interroge toutefois Etienne*, dont le club a diffusé sur les réseaux sociaux ces derniers mois des messages de mises en garde quant à la consommation de GHB/GBL :
« Même si ça reste nécessaire, ce n’est pas uniquement avec des affiches ou des stands associatifs en soirée que les choses vont changer. Quand tu es avec tes potes pour faire la fête et te droguer, tu ne vas pas forcément avoir envie d’aller discuter prévention des risques avec quelqu’un… »
*Les prénoms ont été changés à la demande des interlocuteurs.
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