« Je consultai un dictionnaire médical et lus tout le chapitre qui me concernait. Puis, sans y penser, je me mis à tourner les pages d’un doigt machinal et à étudier d’un œil indolent les maladies, en général. J’ai oublié le nom de la première sur laquelle je tombai –c’était en tout cas un mal terrible et dévastateur– mais, avant même d’avoir lu la moitié des symptômes prémonitoires, il m’apparut évident que j’en souffrais bel et bien... Je restai glacé d’horreur. » (Jerome K. Jerome, Trois hommes dans un bateau)
Plus précisément, expliquent les auteurs, une problématique où des « recherches répétées d’information médicales sur le réseau Internet » entraînent des « préoccupations excessives sur sa propre santé. »
Recourant au service de la plateforme de production participative (crowdsourcing) d’Amazon, le « Turc mécanique »[2], les auteurs ont recruté 462 participants (âgés de 18 à 77 ans) soumis à « une batterie de questionnaires d’auto-évaluation », rétribués 1 dollar par heure et portant notamment sur le niveau d’anxiété et de focalisations hypocondriaques. Sans surprise, cette étude montre « une association positive » entre le contexte de cybercondrie et l’intensité des symptômes d’anxiété focalisée sur l’état de santé, même si l’on ignore l’impact précis de cette hypocondrie « Internet-dépendante » chez les patients, et dans quelle proportion (probablement proche de 100 %) la connexion au réseau a remplacé désormais le bon vieux dictionnaire médical du narrateur de Jerome K. Jerome...
La chèvre broute où elle est attachée
La modélisation de « variables latentes » montre que la cybercondrie s’avère « étroitement liée » aux préoccupations anxieuses sur la santé, « tout en étant distincte de celles-ci. » Et très logiquement, la cybercondrie est associée à « une augmentation des déficits fonctionnels et du recours à des services de santé. »
On observe aussi un phénomène appelé heuristique de jugement ou de disponibilité, décrit dès 1974 par les psychologues Amos Tversky et Daniel Kahneman (Prix Nobel d’économie en 2002)[3].
En résumé, à l’image du proverbe africain « la chèvre broute où elle est attachée », l’hypocondriaque « 2.0 » se nourrit de ce qu’il glane sur le réseau Internet : comme les moteurs de recherche accordent une place importante même à des maladies rares, le sujet voit dans cette multiplicité des références en ligne (par un biais d’interprétation) la meilleure preuve du risque de contracter telle ou telle affection, si facilement accessible sur Google et coll...
Dr Alain Cohen
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