Chez la souris et le singe, une molécule, également en cours d’évaluation dans Alzheimer, semble renforcer les capacités du cerveau lésé à récupérer après une lésion.
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | | Par Florence Rosier
Comment, après un accident vasculaire cérébral (AVC), favoriser la récupération du cerveau lésé ? L’enjeu n’est pas mince : chaque année en France, 150 000 personnes sont frappées par cette « foudre cérébrale ». Une sur deux en gardera un handicap neurologique plus ou moins sévère. Au total, plus de 500 000 hommes et femmes vivent avec des séquelles d’AVC en France.
Une étude publiée dans Science, le 6 avril, livre une piste inédite. Chez la souris et le singe, l’administration orale d’une petite molécule, l’edonerpic maleate, dans les jours et semaines qui suivent un accident cérébral, semble favoriser la récupération motrice – à condition d’être couplée à une rééducation. « C’est un signal encourageant, inhabituel dans ce type d’expérience », commente prudemment le professeur Eric Jouvent, neurologue à l’hôpital Lariboisière (AP-HP, Paris). « C’est évidemment intéressant, mais on est encore loin des essais cliniques », juge de son côté le professeur Alain Yelnik, chef du service de médecine physique et de réadaptation de l’hôpital Fernand-Widal.
Interventions en urgence
Depuis vingt ans, de remarquables progrès ont été accomplis dans la prise en charge de la phase aiguë de l’AVC ischémique – qui résulte de l’occlusion d’une artère irriguant le cerveau. Le but est de déboucher rapidement l’artère occluse. La stratégie de référence est la thrombolyse intraveineuse, développée à la fin des années 1990 : elle consiste à dissoudre biochimiquement le caillot coupable – un « Destop » sur nos artères, en somme. La seconde stratégie, la thrombectomie, a vu son efficacité démontrée en 2015 : c’est la méthode du « tire-bouchon », une extraction mécanique du caillot.
Le singe à qui l’on administre la molécule « edonerpic maleate » montre une meilleure récupération motrice de la main. Takuya Takahashi Professor/Department of PhysiologyYokohama City Univ
Malgré leur efficacité spectaculaire,ces interventions doivent être réalisées le plus tôt possible, dans les premières heures après l’accident. Autre limite : « Ces deux interventions ne concernent que 10 % à 20 % des patients, ceux qui ont une occlusion artérielle visible à l’imagerie », souligne Eric Jouvent.
Il fallait donc explorer d’autres voies. Depuis quelques décennies, la neuroprotection est une piste très étudiée. L’enjeu : limiter la zone de tissu cérébral lésé. Car, autour du tissu détruit par l’AVC, se développe une zone de « pénombre » : un tissu en souffrance, à la fonction altérée mais aux lésions encore réversibles, à condition d’agir vite. Une multitude de molécules ont été évaluées : « Quantité d’études positives chez l’animal se sont révélées négatives chez l’homme », se désole Eric Jouvent. L’enthousiasme est donc retombé.
La nouvelle étude dans Science, menée par des équipes japonaises, concerne la période qui suit directement la phase aiguë de l’AVC. Le but : favoriser la « plasticité neuronale ». Il s’agit de recâbler les neurones pour aider le cerveau à restaurer ses fonctions altérées – à compenser ses déficits moteurs, verbaux, cognitifs…
Hiroki Abe et ses collègues de l’université de Yokohama ont d’abord évalué les effets de ce produit, l’edonerpic maleate, sur les neurones du cortex de la souris. Verdict : ce composé, administré tous les jours dans l’eau de boisson, augmente l’excitabilité des cellules nerveuses. Il accroît la transmission entre neurones à travers un type de récepteurs au glutamate, principale molécule excitatrice (« neurotransmetteur excitateur ») qui véhicule le signal électrique à travers les réseaux de neurones.
Récupération de la motricité
Ensuite, les chercheurs ont testé l’effet de ce produit chez des souris ayant subi une lésion locale du cortex moteur. Résultat : son administration orale, par rapport à un placebo, améliorait la capacité des rongeurs à attraper des granules de nourriture – à condition d’être couplée à un réentraînement.
Plus intéressant : les auteurs ont évalué son impact chez six singes macaques (trois traités, trois contrôles) ayant subi un AVC d’une région-clé du cerveau, la « capsule interne », un accident qui entraîne des troubles moteurs sévères, notamment une paralysie de la main. Résultat : dans ce modèle plus proche de l’homme, l’administration orale du composé permettait aux singes une récupération meilleure de la motricité fine de la main pour saisir une friandise à travers une grille. Les vidéos montrent ces différences entre singes traités ou non, assez spectaculaires. Là encore, les progrès ne sont sensibles que lorsque l’animal était réentraîné.
« C’est une très jolie étude car elle décline une analyse complète, des neurones aux comportements de la souris et du singe. Elle décrypte aussi les mécanismes moléculaires en jeu », estime le docteur Olivier Detante, neurologue au CHU de Grenoble, qui s’intéresse à une autre stratégie : la réparation du cerveau lésé par des injections de cellules souches.
Connu pour son action neurotrophique, la molécule edonerpic maleate est déjà évaluée dans la maladie d’Alzheimer par la société Toyama Chemical. Sans efficacité probante à ce jour – mais sans toxicité apparente. Les résultats seront-ils plus heureux pour limiter les dégâts liés aux AVC ? Il faudra confirmer ce résultat chez l’animal avant de se fier au verdict du « juge de paix », l’évaluation chez l’homme.
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