Une enquête publiée vendredi par une association de proches de patients dresse un constat sombre des soins psychiatriques et appelle à repenser l’acompagnement des malades.
Délais de prise en charge trop longs, diagnostics trop tardifs, réponse médicamenteuse trop fréquente, absence d’accompagnement médical et social… L’étude publiée vendredi 2 décembre par l’Unafam, une association de proches de personnes malades et/ou handicapés psychiques, dresse un paysage bien sombre des soins psychiatriques en France.
Pour la moitié des 2 807 personnes qui ont répondu en ligne à cette enquête, la première prise en charge de leur proche a eu lieu par les urgences. « Comme on n’a pas su repérer les premiers symptômes, l’entrée dans la maladie se fait par une crise qui nécessite l’hospitalisation », déplore Béatrice Borel, la présidente de l’Unafam. Une situation d’une rare violence pour le malade et ses proches.
Schizophrènes, bipolaires, personnes atteintes de troubles anxieux graves ou de dépressions sévères et persistantes, la France compte deux millions de malades pris en charge. Ils sont là, invisibles. Sauf quand un fait divers défraye la chronique.
A l’Unafam, on insiste sur un chiffre : pour 75 % des répondants, l’accompagnement au quotidien est assuré par les familles, qui se sentent bien seules ; 30 % des malades vivent directement avec leurs proches, qui s’épuisent. « Un malade suivi médicalement, s’il n’est pas accompagné socialement, il reste dans sa chambre toute la journée », insiste Béatrice Borel, pour qui la visite chez le psychiatre une fois par mois pour un renouvellement d’ordonnance ne peut suffire.
Un modèle aujourd’hui grippé
Côté soins, les ruptures sont courantes : c’est le malade qui sort de l’hôpital, arrête son traitement dès qu’il se sent mieux, et sera réhospitalisé à la prochaine crise. C’est le malade qui ne se rend pas à un rendez-vous au centre médico-psychologique, n’est pas recontacté faute de temps et qui au final, sera perdu de vue. Ce sont des médecins généralistes, peu au fait du fonctionnement du système psychiatrique, qui ne sont par ailleurs pas toujours tenus informés par les psychiatres, etc.
Le constat dressé par les familles de malades est désespéré. Quand elles appellent au secours lors d’une crise, personne ne vient, disent-elles. Dans l’enquête de l’Unafam, parmi ceux qui jugent la prise en charge inadaptée, on estime que les pompiers, la police, la gendarmerie ne sont pas toujours les mieux formés pour gérer ces situations, alors même qu’ils sont souvent les seuls à accepter d’intervenir en urgence au domicile.
L’accès aux soins lui-même pose problème. Les médecins généralistes, pas ou peu formés à la question, n’ont souvent pas beaucoup de temps à consacrer à ces malades qui en demandent plus que les autres. Difficile de détecter et de prendre en charge psychoses et névroses quand les psychiatres sont mal répartis sur le territoire et que les pédopsychiatres ne sont pas assez nombreux.
Le problème est connu. De nombreux rapports officiels sont venus décrire les limites d’un modèle aujourd’hui grippé. Lors de sa mise en place dans les années 1970, l’organisation en « secteurs » était en pointe. Il s’agissait de mettre fin au modèle des asiles du XIXe siècle, en faisant une place aux malades dans la cité. On allait « désinstitutionnaliser » la psychiatrie, en finir avec la stigmatisation des malades.
Une mutation inachevée
L’offre médicale et sociale a été structurée au sein de bassins de population d’environ 70 000 habitants. C’est à cette échelle que sont gérés les hospitalisations (avec ou sans consentement), l’hébergement, les activités d’insertion sociale, et les traitements par les centres médico-psychologiques.
Petit à petit, le dispositif est devenu hétérogène dans ses moyens et ses pratiques ; beaucoup le considèrent comme illisible et surchargé. « Le secteur s’est retrouvé débordé par des demandes multiples, dont les souffrances psychosociales, ce qui a noyé celles pour des troubles psychiatriques sévères », ajoute Christine Passerieux, chef du pôle de psychiatrie à l’hôpital de Versailles.
Quarante ans plus tard, la mutation est donc inachevée. Les patients sont moins hospitalisés, ou en tout cas sur des durées moins longues, mais ils sont trop souvent isolés. « La France n’a pas cherché à fermer ses hôpitaux psychiatriques comme l’ont fait le Royaume-Uni ou l’Italie ; elle a voulu protéger mais n’a pas cherché à intégrer les malades », constate Magali Coldefy, géographe à l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes). Pour elle, l’Hexagone est aujourd’hui en retard dans son offre de logements adaptés en ville. A l’Unafam, on réclame d’ailleurs le développement de ces structures, comme de l’habitat partagé, qui coûteraient moins chers que l’hôpital.
« Petit à petit, le secteur n’a plus fait de visite à domicile ou de prévention, remarque Claude Finkelstein à la Fnapsy, une fédération d’associations d’usagers de la psychiatrie. On est arrivé à la fin de quelque chose, il y a un encroûtement de la psychiatrie qui n’a pas saisi des moments où elle aurait dû évoluer. »
Concept du « rétablissement »
Pour elle, il faut adapter le secteur à la vie actuelle. Comment ? En ouvrant par exemple les centres médico-psychologiques sur un créneau plus adapté, de 13 heures à 20 heures. « Si on est mal, on ne se lève pas. Et si on est bien, on vient après le travail, et alors c’est fermé », explique Mme Finkelstein.
Parmi les demandes très concrètes, figure aussi la mise en place d’une plate-forme téléphonique ouverte 24 heures sur 24 pour gérer l’angoisse des malades. « Aujourd’hui, quand on a des pensées suicidaires, on appelle SOS-Amitié ou Croix rouge écoute… »,raconte Mme Finkelstein. Son association a sa ligne téléphonique, l’Unafam aussi. La création dans chaque département d’équipes mobiles qualifiées, comme un SAMU avec une compétence psychiatrique, permettrait d’éviter des hospitalisations en urgence.
Pour éviter la perte de logement – beaucoup de malades sont aussi à la rue –, d’emploi, ou l’arrêt des études, un meilleur service d’accompagnement doit être mis en place, plaident surtout les associations.
« Même si la maladie est encore présente, la vie ne se réduit pas au fait d’être malade »,explique Mme Passerieux. C’est le concept du « rétablissement », défendu par l’Unafam notamment, qui ne met pas la maladie au centre et promeut des projets de vie pour les patients, même non guéris.
Les malades, les familles et les psys auront dû s’armer de patience, mais les choses commencent à bouger. Le gouvernement vient de nommer un conseil national de la santé mentale, qui doit remettre au premier trimestre ses propositions concernant notamment des parcours de soins.
Le 13 janvier sera installé un comité de pilotage de la psychiatrie. La loi santé, promulguée en début d’année, a créé de nouvelles instances pour une meilleure coordination des acteurs sociaux et médicaux sur le terrain, tels que les « communautés psychiatriques de territoire » et autres « conseils locaux de santé mentale ». De la novlangue pour les patients, en espérant qu’ils y gagnent.
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