Philosophe et théologien, François Roustang est décédé dans la nuit du 22 au 23 novembre, à l’âge de 93 ans.
LE MONDE | | Par Elisabeth Roudinesco (Historienne et collaboratrice du "Monde des livres")
François Roustang, mort dans la nuit du 22 au 23 novembre, à l’âge de 93 ans, auteur d’un grand nombre d’ouvrages, était avant tout un extraordinaire clinicien, animé d’une passion de guérir et d’une empathie pour ses patients assez unique dans le monde de la psychothérapie et de la psychanalyse. En témoigne la manière dont, un jour de 2005, il traita en une séance unique l’écrivain Emmanuel Carrère, qui lui rendit visite en songeant au suicide : « Oui, c’est une bonne solution », lui dit-il. Et il ajouta après un silence : « Sinon vous pouvez vivre. »
Né le 23 avril 1923, il entre, à l’âge de 20 ans, dans la Compagnie de Jésus tout en poursuivant des études de philosophie et de théologie. A partir de 1956, il fait partie de la revue Christus, dont il devient le directeur en 1964. En même temps, il se tourne vers la psychanalyse et devient, avec ses amis Louis Beirnaert et Michel de Certeau, membre de l’Ecole freudienne de Paris (EFP), fondée par Jacques Lacan. C’est alors qu’il commence une première cure avec Serge Leclaire.
En 1966, il fait paraître un article intitulé « Le troisième homme ». Il y démontre que le concile Vatican II a favorisé l’émergence de chrétiens qui ne pratiquent pas et ne se reconnaissent plus dans les valeurs de la foi et des sacrements. L’article aura un retentissement important dans les milieux catholiques.
Cette prise de position iconoclaste est la conséquence directe des transformations opérées par la cure sur les opinions de l’auteur, qui a lui-même perdu la foi. La Congrégation ne s’y trompe pas et démet Roustang de ses fonctions. Quelque temps plus tard, il rompt avec l’Eglise, quitte l’habit, se marie et devient psychanalyste en vouant à Freud et à Lacan une admiration sans bornes.
Trouble-fête
Mais, après avoir vécu son passage à la pratique psychanalytique comme une véritable libération, il constate avec fureur et amertume que l’EFP s’est transformée en une Eglise avec ses idolâtres et ses rituels convenus. Rien ne le révolte plus que les relations de servitude entre un maître et ses élèves. Et, pour tenter de comprendre pourquoi une doctrine aussi critique que la psychanalyse a pu se transformer en une nouvelle religion, il s’oriente vers une mise en cause radicale de ce qu’il avait tant aimé. De fait, il participe à un vaste mouvement de contestation qui traverse, à cette époque, tous les courants français de la psychanalyse. Emmené par René Major et soutenu par Jacques Derrida, ce mouvement, incarné par les cahiers Confrontation, se déploie joyeusement sur la scène psychanalytique parisienne.
En 1976, Roustang publie un ouvrage qui deviendra le manifeste le plus flamboyant de cette nouvelle orientation antidogmatique : Un destin si funeste (Editions de Minuit). S’appuyant sur une lecture critique des relations de Freud avec certains de ses disciples (Carl Gustav Jung, Georg Groddeck, Sandor Ferenczi), il accuse la doctrine psychanalytique d’être l’arme d’une folie destinée à rendre l’autre fou. Et, du coup, il fait de la cure par la parole l’instrument d’une sorte de viol subjectif qui, sous couvert de renoncement à l’hypnose, ne fait que reconstruire la dialectique aliénante du maître et de l’élève.
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