Décembre concentre entre 30 % et 40 % de la collecte annuelle. Les grandes institutions s’en sortent le mieux.
Chaque jour, Marie-Carmen Carles croise les doigts. Pourvu qu’aucun événement ne perturbe la collecte de dons qu’elle orchestre pour le Secours catholique. En novembre et décembre, l’organisation récolte environ 35 millions d’euros, autant que durant les dix autres mois de l’année. « C’est le moment où il ne faut pas se rater ! »
En 2015, les attentats du 13 novembre à Paris avaient tout bouleversé.
« Juste après, il y a eu quinze jours de sidération pendant lesquels les gens n’ont plus donné, raconte Mme Carles. Décembre a été meilleur, sans compenser complètement le manque à gagner. »
Cette année, tout a été préparé pour obtenir davantage. Première étape : la publication en novembre de données sur la pauvreté. Un rapport repris par les médias, et cité lors du dernier débat de la primaire de la droite. Deuxième temps, le lancement d’une campagne pour soutenir l’association. Au programme, affiches, publicités dans la presse et à la télévision, témoignages dans les paroisses… Enfin, 2 à 3 millions de Français vont recevoir dans les prochains jours des courriers et des mails les appelant à faire un don.
L’opération coûte cher au Secours catholique : les frais de collecte totalisent 14 millions d’euros sur l’année. Mais ils permettent de recueillir 110 millions de dons et legs. Et il faut bien cela pour se distinguer sur un marché de la générosité passablement encombré.
« Nous sommes si nombreux… », souligne Mme Carles.
Pour tous ceux qui vivent de la philanthropie, décembre est un peu comme Pâques pour les marchands de chocolat. Le moment clé. Celui où les porte-monnaie s’ouvrent le plus. Un héritage judéo-chrétien qui fait de la fin d’année une période de partage et de solidarité. Mais aussi une conséquence des règles fiscales : pour bénéficier des réductions d’impôts, les chèques doivent être datés du 31 décembre au plus tard.
Incapacité de l’Etat à tout financer
Résultat, décembre concentre souvent 30 % à 40 % de la collecte annuelle, et les organisations concernées se disputent le terrain. Ce mois-là, il n’est pas rare que les donateurs repérés comme généreux reçoivent trois ou quatre messages par jour, de la part des Restos du cœur, de la Croix-Rouge, de Médecins sans frontières, de Greenpeace, mais aussi de partis politiques, d’hôpitaux, de musées, d’universités, ou encore de laboratoires de recherche. Sans oublier le Téléthon, lancé vendredi 2 décembre, qui fait de l’Association française contre les myopathies le premier collecteur de dons du pays.
« On essaie de savoir quand les associations sur le même créneau que nous vont lancer des appels, et d’envoyer les nôtres avant, confie un professionnel. En même temps, il ne faut pas trop s’éloigner de Noël… »
Depuis dix ans, le nombre d’institutions faisant appel à la générosité publique a bondi, en raison notamment de l’incapacité de l’Etat à tout financer. Mais la population des donateurs, elle, est restée stable. L’arrivée des baby-boomers à l’âge où l’on donne davantage, l’essor des collectes de rue ou sur Internet, tout cela aurait pu faire croître le nombre de donateurs. Or il stagne depuis 2004 autour de 5,4 millions de foyers fiscaux, constate avec dépit l’association Recherches et solidarités dans sa dernière étude, publiée en novembre. La faute à la crise, au chômage ?
4,5 milliards d’euros en 2015
Heureusement pour le monde associatif, ceux qui donnent se montrent chaque année plus généreux. En dix ans, le don moyen déclaré aux impôts a bondi de 55 %, pour atteindre 250 euros en 2015. Au total, avec les quêtes dans les églises, l’argent remis de la main à la main, etc., les Français ont donné 4,5 milliards d’euros en un an, dont 2,5 milliards déclarés à Bercy, estime Recherches et solidarités.
« Ce qui tire la hausse globale, ce sont les sommes apportées par les grands donateurs, les ménages très aisés, qui peuvent donner plusieurs milliers d’euros par an », analyse Xavier Delattre, directeur général de la Fondation Entreprendre et spécialiste du sujet.
Un effet de l’essor des grandes fortunes en France et des incitations fiscales. La moitié des contribuables dont le revenu imposable dépasse 78 000 euros par an effectue des dons.
Autant de donateurs, beaucoup plus d’organismes sur les rangs : la compétition est chaque année plus forte. Pour sortir du lot, les professionnels utilisent toutes les ficelles du marketing. A commencer par les envois de courriers et de mails, ciblés le plus précisément possible.
« Nous avons une base de contacts, surtout des gens qui ont signé des pétitions sur des sites comme Change. org, explique Jimmy Minier, de ActionAid, une association qui milite pour la justice fiscale. En décembre, nos prospects vont recevoir 7 à 8 mails, les premiers pour expliquer nos actions, les autres insistant sur la nécessité de donner avant le 31 décembre. »
D’autres recourent aux fichiers de certains journaux, ou à des bases croisant les quartiers et les revenus. « On utilise un ciblage très fin pour adresser les bons messages à chacun »,explique Stéphanie de Beaumont, responsable de la philanthropie à la fondation Apprentis d’Auteuil.
Prestataires extérieurs, crowdfunding, micro-dons
A côté de ces méthodes éprouvées, d’autres font appel à des campagnes de rue réalisées par des prestataires extérieurs, au crowdfunding, aux micro-dons. Ou encore au don par SMS, la nouveauté 2016, testée par l’Unicef avec l’appui de l’agence TBWA. Et presque tous choient leurs grands bienfaiteurs de façon spécifique. A l’Institut Pasteur, par exemple, « nous leur proposons des rencontres à Paris, indique Frédérique Chegaray, la responsable des dons et du mécénat. Ils peuvent visiter notre campus, l’appartement de Louis Pasteur, discuter avec nos chercheurs et toucher du doigt ce que nous faisons de leur argent ».
Qui sont les gagnants de cette bataille ? Avant tout les grandes associations. Depuis des années, ce sont elles qui voient leur collecte croître le plus vite, selon Recherches et solidarités. Elles ont les moyens de mener des campagnes importantes et de soigner les grands donateurs. Vainqueurs aussi, les organismes qui mettent en avant des causes touchant le grand public.
« La défense des animaux ou des enfants sont des combats assez faciles en termes de marketing, relève Alexis Vandevivère, de l’agence spécialisée Adfinitas. A l’inverse, collecter pour les sans-papiers ou ceux qui sortent de prison devient quasiment impossible. »
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