Dans une lettre ouverte au prochain président de la République, des associations de patients et des professionnels de santé rappellent l’urgence de nouvelles mesures concrètes.
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Par le docteur Didier Bouhassira, président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) ; Martine Chauvin, présidente de l’Association francophone pour vaincre les douleurs ; le professeur Serge Perrot, président du Collège des enseignants de la douleur ; Carole Robert, présidente de Fibromyalgie France
Fardeau personnel pour le patient, la douleur est un phénomène de société, tant par le nombre de personnes concernées que par l’importance des défis qu’elle soulève. La lutte contre la douleur est d’abord un défi démographique car près de 20 % de la population souffrirait de douleur chronique sévère à modérée (la douleur chronique correspond à des douleurs persistantes impliquant une détérioration significative des capacités du patient).
C’est aussi un défi médical, notamment pour les patients atteints de cancer ou de maladies chroniques, fréquemment exposés à des douleurs sévères. C’est un défi économique et social car la douleur chronique induit une forte consommation de soins ainsi qu’un important absentéisme professionnel. C’est enfin un défi moral car la douleur est aussi souffrance, c’est-à-dire psychique, sociale, et existentielle : près d’un patient douloureux sur trois estime que la douleur est parfois tellement forte qu’il ressent l’envie de mourir.
La France a longtemps été pionnière dans l’amélioration de la prise en charge de la douleur. Alors que la loi du 4 mars 2002 consacrait le soulagement de la douleur comme un droit fondamental du patient, une politique de lutte contre la douleur s’est progressivement structurée à partir des années 2000, autour de trois plans nationaux successifs.
Elle a permis de renforcer la formation des professionnels et des étudiants, notamment en intégrant un enseignement dans les facultés de médecine, instituts de soins infirmiers et facultés de psychologie, de mettre en place des bonnes pratiques de prise en charge, de soulager la souffrance des patients en fin de vie, ou de développer des structures spécialisées pluridisciplinaires qui permettent aujourd’hui le suivi de près de 300 000 patients douloureux.
Moins de vingt heures de cours durant les études médicales
En 2012, conformément à l’avis du Haut Conseil de la santé publique et dans la continuité des plans précédents, les pouvoirs publics se sont engagés à mettre en place un programme d’action contre la douleur comprenant plusieurs avancées, comme la distinction entre douleurs aiguës, douleurs chroniques et douleurs liées aux soins. Maintes fois repoussé, ce programme d’action n’a finalement jamais vu le jour.
Et pourtant, tant de chemin reste encore à parcourir ! Plus de 60 % des patients admis aux urgences ont une douleur modérée à sévère et moins de un sur deux reçoit un traitement antalgique à l’admission. Près de 20 % des patients opérés gardent des séquelles douloureuses après une opération chirurgicale. Actuellement, sur les six années d’études médicales générales, moins de vingt heures de cours sont officiellement consacrées à cette problématique. Les douleurs aiguës, trop souvent peu ou mal prises en charge, font le lit de la douleur chronique… laquelle devrait enfin être reconnue comme une maladie à part entière !
Ambition éthique et humaniste
C’est pourquoi, nous, associations de patients et professionnels de santé, invitons le futur président de la République à mettre en place, dès le début de son mandat, des mesures concrètes qui permettront de répondre à un certain nombre de besoins, parmi lesquelles :
1. Consolider le rôle des structures spécialisées dans la prise en charge de la douleur chronique en développant leur accessibilité sur tout le territoire et en renforçant l’articulation de leurs missions avec les professionnels de santé de ville.
2. Mieux prévenir les douleurs chroniques et leurs impacts en proposant un dépistage et une prise en charge précoces des facteurs de chronicisation, ainsi que des plans de prévention au travail.
3. Sensibiliser les professionnels de la santé aux douleurs chroniques postopératoires afin qu’ils soient en mesure de détecter les patients susceptibles de les développer et de les accompagner sur la durée.
4. Renforcer la formation des professionnels de santé (spécialistes ou généralistes) à la prise en charge de la douleur et de la souffrance, en mettant l’accent sur la coordination des soins.
5. Garantir la prise en charge de la douleur lorsque le patient est hospitalisé à domicile.
6. Associer plus étroitement les patients et leurs représentants à l’évaluation des nouvelles thérapies de lutte contre la douleur et la souffrance et favoriser l’accès d’un arsenal thérapeutique diversifié, permettant de répondre au plus près du besoin du patient.
7. Améliorer le soulagement de la douleur aiguë lors de l’arrivée des patients aux urgences.
8. Développer des outils d’évaluation de la douleur pour les patients qui ont des difficultés de communication (nourrissons, personnes souffrant de troubles psychiatriques, handicapés…).
Ambition éthique et humaniste, la lutte contre la douleur constitue un des socles de la médecine et du soin. La prise en compte de la douleur est un indicateur qui en dit long sur la qualité d’un système de santé. Il est du devoir de nos futurs dirigeants d’en écrire un nouveau chapitre et du nôtre de les accompagner pour développer une médecine accessible à tous et de qualité.
Docteur Didier Bouhassira, président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) ; Mme Martine Chauvin, présidente de l’Association francophone pour vaincre les douleurs ; professeur Serge Perrot, président du Collège des enseignants de la douleur ; Mme Carole Robert, présidente de Fibromyalgie France.
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