Amateur de danse, le photographe présente « Un temps de rêve » à la Maison nationale des artistes, à Nogent-sur-Marne.
LE MONDE | | Par Rosita Boisseau
Empêché, contraint, vissé, cadré… Le photographe Grégoire Korganow aime se mettre des bâtons dans les roues. Il sait aussi choisir son camp. Depuis le début des années 1990, la lutte des mal-logés, des sans-papiers, des alcooliques, des prisonniers et encore celle des Indiens Mapuches au Chili ou des victimes irakiennes sont aussi les siennes. « La contrainte est pour moi un terrain d’émancipation, commente-t-il. Elle oblige à s’aventurer dans des zones d’inconfort. Elle questionne aussi sa propre légitimité. »
Voilà donc aujourd’hui Grégoire Korganow, fervent amateur de danse, chroniqueur de la vieillesse avec l’exposition « Un temps de rêve », à l’affiche jusqu’au 27 novembre de la Maison nationale des artistes, à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne). Dans cette maison de retraite, qui accueille aussi des ateliers et des résidences d’artiste gérés par la Fondation nationale des arts graphiques et plastiques, il a lancé une aventure singulière avec sept personnes âgées de 76 à 96 ans.
« Plutôt que de leur demander de me raconter leurs souvenirs, j’ai préféré évoquer leurs rêves, explique le photographe. Cela permet de convoquer leurs désirs et leurs craintes. Leur corps fragile les empêche de se mouvoir librement. Je leur ai donc proposé un échange. Ils me décrivaient un rêve et je leur donnais une danse. »
« La réalité qui s’empare du rêve »
Ce drôle de troc, entre confidences et transferts, a ouvert sur plusieurs étapes de travail. Grégoire Korganow a photographié et filmé chacune des personnes âgées et enregistré leurs rêves. Il a ensuite confié à des danseurs le soin de les incarner en choisissant un lieu spécifique dans le parc de la maison de retraite, sublime, débordant d’arbres centenaires. Il les y a filmés, composant pour chaque vision un triangle amoureux d’images fixes et mouvantes déclinées dans l’exposition.
Contempler le visage d’Arlette de Breville, les yeux fermés, décrivant son rêve autour de sa mère, sa façon de se teindre les cheveux au henné, de les brosser, file le frisson. A côté, comme surgie de son cerveau, la danseuse Aurore Di Bianco saute comme un cabri sur un parterre de lierre. Aucun lien explicite entre les deux, mais une porte ouverte grâce au mouvement sur l’imaginaire et le désir. Erotique et libre, l’histoire de Michel Merlen trouve dans les roulades arc-boutées sur l’herbe de Julie Koenig une épatante et juvénile traduction.
« C’est la réalité qui s’empare du rêve », glisse Grégoire Korganow, qui a montré leur danse aux personnes âgées. Certaines ont aimé, d’autres pas. Le vivant rattrape ceux qui ont tout laissé derrière eux et n’ont plus rien devant, seuls des rêves puissants et récurrents saisis au vol par Korganow.
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