« Le 5 juillet 1996, commence Michael Greenberg, ma fille a été prise de folie. » L’auteur ne perd pas de temps en préliminaires, et le livre avance promptement, de façon presque torrentielle, à partir de cette phrase introductive, à l’unisson des événements qu’il rapporte (1). Le déclenchement de la manie est soudain et explosif : Sally, sa fille de 15 ans, était dans un état survolté depuis quelques semaines, écoutant les Variations Goldberg par Glenn Gould sur son Walkman, plongée dans un volume de sonnets de Shakespeare jusqu’à des heures avancées de la nuit. Greenberg écrit : « Ouvrant le livre au hasard, je découvre d’invraisemblables griffonnages faits de flèches, de définitions, de mots entourés au stylo. Le Sonnet 13 ressemble à une page du Talmud, les marges remplies d’un si grand nombre de commentaires que le texte imprimé n’est guère plus qu’une tache au centre de la feuille. » Sally a également écrit des poèmes troublants, à la Sylvia Plath (2). Son père y jette discrètement un coup d’œil. Il les trouve étranges, mais ne songe pas un instant que l’humeur ou le comportement de sa fille soit de quelque manière pathologique. Elle a rencontré des difficultés d’apprentissage dans son jeune âge mais, enfin en possession de ses capacités intellectuelles, elle est en train de les surmonter. Une telle exaltation est normale chez une adolescente de 15 ans douée. Ou du moins, c’est ce qu’il lui semble.
Mais, en ce jour torride de juillet, elle craque – interpellant les passants dans la rue, exigeant leur attention, les secouant, avant de partir soudain en courant dans le flot des voitures, convaincue de pouvoir les arrêter du simple fait de sa volonté (un ami a la présence d’esprit de l’attirer hors de la chaussée juste à temps).
Le poète Robert Lowell rapporte avoir vécu un épisode tout à fait semblable dans un accès d’« enthousiasme pathologique » : « Le soir précédent mon enfermement, je courais dans les rues de Bloomington, Indiana […]. Je pensais pouvoir arrêter les voitures et paralyser leurs moteurs en me tenant simplement au milieu de la route, les bras écartés. » De telles crises d’exaltation et de tels actes aussi soudains que dangereux ne sont pas rares au début d’un accès maniaque.
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