À l’hôpital, les nouvelles formes de management des directions et les nouvelles organisations du travail amènent à une déshumanisation du travail. Non seulement l’institution ne prend plus soin de ceux qui prennent soin mais elle les maltraite, estime le Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI).
Entre injonctions paradoxales (augmenter l’activité avec moins d’agents), recherche d’une rentabilité immédiate, rationalisation des flux de patients en groupes homogène de malades (GHM) et standardisation des procédures de soins, les professionnels de santé sont en grande souffrance.
Cette maltraitance institutionnelle se développe à grande échelle mais les directions adoptent la politique de l’autruche face aux difficultés psychiques de leurs salariés ou font illusion en mettant en œuvre des plans de prévention cosmétiques, sans prise sur le réel.
La souffrance au travail fait l’objet d’une attention croissante à cause des drames qu’elle provoque et de la dégradation du travail qu’elle entraîne à l’hôpital pour les soignants et les malades. Mais au quotidien, on assiste à un management sans ménagement (rationalisation, standardisation et mutualisation) qui sacrifie les missions sociales et humanistes de l’hôpital et débouche sur épuisement professionnel et souffrance au travail.
Lorsque l’on vous oblige à revenir sur vos jours de repos, à enchaîner les gardes de l’après-midi avec celles du matin, les directions nous poussent à la faute, d’où l’explosion des erreurs de soins et des événements indésirables graves (EIG), qui ont doublé en un an, avec la surcharge de travail des soignants.
Les soignants refusent les organisations du travail industrielles, du type « lean management ». Les nouvelles organisations de l’hôpital public visent à faire de lui une entreprise comme les autres, au mépris de son histoire et des valeurs portées par ses agents :
- avec la rationalisation des flux de patients par les GHM,
- mais également par la standardisation des procédures de soins.
Le « lean managementnous propose des « gestionnaires de lits » ou des « gestionnaires de cas » pour « gérer les flux hospitaliers » et rationaliser les soins.
Le taylorisme divisait le travail entre un petit nombre de personnes payées pour penser et une masse ouvrière qui devait se contenter d’obéir mécaniquement aux ordres. Le « lean management » nous propose des « gestionnaires de lits » ou des « gestionnaires de cas » pour « gérer les flux hospitaliers » et rationaliser les soins.
La planification du flux de prise en charge du patient ne permet pas de s’adapter à l’imprévu, alors que la résolution des problèmes rencontrés revêt un caractère crucial puisque l’activité des établissements de santé compose avec des vies humaines. L’imprévisibilité de l’évolution de la maladie et la singularité de chaque patient (réaction inattendue au cours d’une intervention…) peuvent engendrer des complications qui n’ont bien évidemment pu être anticipées.
Le travail infirmier est submergé de tâches administratives qui éloignent du cœur de métier, obligeant à suivre des règles, à respecter des procédures, à se préoccuper davantage de la traçabilité des actes accomplis (en remplissant des fichiers et en cochant des cases), que de la qualité des soins et de la satisfaction des besoins des patients soignés.
La culture de l’entraide est aussi dégradée par une procédurisation excessive : si le «lean management » fonctionne dans l’industrie automobile, au contraire à l’hôpital l’obligation de se conformer strictement aux tâches prescrites dans la journée, empêche parfois de pouvoir apporter son soutien à un collègue en difficulté.
Une grande partie des interventions de soins des unités de l’établissement dépend de la bonne circulation des informations et de nombreux événements peuvent surgir au sein duparcours des patients, conduisant le personnel à échanger et à négocier, afin de comprendre et de résoudre conjointement un problème. Principe du « lean management », la stricte division du travail nuit à la bonne coopération et au développement d’une culture de l’entraide, sur laquelle reposent les collectifs de travail.
Il faut revoir le rôle du cadre de proximité (soutien dans l’activité et aide à réguler les événements, animateur du groupe etc.), les moyens dont il dispose, la marge de manœuvre qu’on lui reconnaît, notamment l’autorité dont il bénéficie face aux médecins.
La méthode scientifique procède de l’objectivation, c’est-à-dire d’une démarche amenant le sujet à s’effacer devant son objet. En privilégiant la maladie aux dépens du malade, on oublie toute la complexité et la singularité que l’homme introduit par sa façon de vivre la maladie, de sa tolérance aux traitements, voire de ses préférences. C’est un malade vidé de son humanité qui est ainsi soigné.
L’infirmière constitue le dernier rempart contre une déshumanisation de la relation de soin, par sa prise en compte de l’histoire personnelle du patient. Ce rempart menace cependant de s’écrouler face aux assauts de la standardisation des procédures de soins. L’éviction de l’humain apparaît comme le moyen d’accéder à la sécurité que nos gestionnaires et tutelles mesurent à l’aune d’indicateurs.
Cette dévalorisation systématique et méthodique de la part d’humain présente chez le soignant passe par celle de son expérience et de son jugement et par l’organisation de son interchangeabilité. Les gestionnaires de risque veulent réduire l’autonomie du soignant au maximum pour parvenir à la sécurité d’un système dans lequel la gestion d’indicateurs de « qualité » et de coût à un niveau collectif revient à sacrifier l’idée d’un soin « sur mesure ».
À vouloir évincer l’artisan qui existe en chaque soignant pour ne garder de lui que le technicien spécialisé, on change radicalement le visage du soin. D’un rapport entre deux individus qui recherchent ensemble l’option médicale la plus adaptée à une situation singulière, on passe à une procédure dictée par des protocoles, pour contrôler des indicateurs supposés mesurer le risque ou le coût de la santé. Le soignant standard applique une procédure standard pour un patient standard.
La profession infirmière doit déjà s’affirmer dans les établissements hospitaliers parce qu’elle réalise une démarche de synthèse, indispensable pour individualiser les soins, indispensable pour appréhender l’homme en tant une personne. Déterminer les actions à entreprendre et les comportements à adopter impose une vue globale qui contredit l’analyse, découpe et isole une fonction face à cette « tarification à l’activité » et ses impitoyables GHM.
L’infirmière salariée doit faire face à la pression institutionnelle qui constitue une force réductrice, amenuisant les rôles de l’infirmière aux seules dimensions productive, organisationnelle, technique et économique, pour en faire un simple rouage d’une organisation hiérarchisée et bureaucratisée.
« La profession infirmière est autant marquée par la subtilité, la spontanéité, la créativité et l’intuition que par la science et la technique. D’où sa difficile reconnaissance dans un univers biomédicalisé, où les principes de gestion veulent tout paramétrer pour mieux maîtriser l’activité », précise Thierry Amouroux, secrétaire général du SNPI CFE-CGC.
« L’architecture, c’est ce qui reste de l’édifice, la pierre ôtée » : la définition de Plotin nous montre combien la volonté de décomposer à tout prix les soins infirmiers est aussi absurde que de penser comprendre une œuvre d’art en la décomposant en ses divers éléments. « La tentation technicienne est toujours de réduire le réel au mesurable et donc d’éliminer tout ce qui n’est pas observable, tout le qualitatif, en ignorant ainsi les aspects les plus profonds de la pratique infirmière », estime-t-il.
Le « lean management » est adapté à la production de voitures ou de boulons mais ne convient pas à une prestation de soin personnalisée car la compétence professionnelle est supérieure à la seule expertise technique.
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