blogspot counter

Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

jeudi 22 septembre 2016

« Aujourd’hui addictologue, j’ai été toxicomane pendant quinze ans »

LE MONDE  | Par Pascale Krémer
Marie de Noailles, 41 ans, raconte son parcours d’ancienne toxicomane devenue psychologue dans « Addict ».

lelynx.fr

« ’herbe, l’ecstasy, la ­cocaïne, l’héroïne, l’alcool et les cachets, j’ai tout pris. Aujourd’hui, je suis psychologue spécialiste des addictions et psychothérapeute. Je voudrais donner de l’espoir à ceux qui sont restés dans cet ­enfer. Et briser un tabou. En France, les spécialistes de l’addiction qui sont passés par là ne veulent pas en parler.
Je n’ai aucune excuse. J’avais tout pour être heureuse. Je suis la seconde fille choyée du duc et de la duchesse de Noailles. Avec ma mère journaliste, mon père haut fonctionnaire, ma sœur aînée et mon frère, nous vivions dans un hôtel particulier parisien en bord de Seine, nous passions les week-ends au château de Champlâtreux, dans le Val-d’Oise. Je ­savais que j’avais de la chance. Mes ­parents étaient aimants – même si ma mère était peu démonstrative et mon père souvent absent. Ma famille ne dysfonctionnait pas davantage que les autres.

A 13 ans les premiers joints
Mais, à l’école, j’étais nulle. Dyslexique. J’étais persuadée qu’on me trouvait un peu débile. Quand j’ai eu 8 ans, nous sommes partis vivre à Washington. J’ai fréquenté l’école américaine pour apprendre l’anglais, je ne m’y suis pas sentie à ma place. A mon retour en France, vers 11 ans, le calvaire a commencé. Je faisais tellement de fautes dans les dictées qu’un jour une prof m’a humiliée devant toute la classe. “Avec un nom comme ça, la moindre des choses, c’est de savoir écrire !” Cela a été le début du rejet de mon milieu.
A 13 ans, je fumais mes premiers joints, avec des copains. Dès que j’ai commencé, je me suis dit : “C’est ce que je veux faire dans la vie.” Tout ce que j’avais pu ressentir d’émotions négatives était anesthésié. Moi l’hypersensible, manquant ­totalement de confiance, moi qui n’avais jamais été insouciante, qui étais née la boule au ventre, je me sentais enfin bien.
Une première cure à 15 ans
Je suis devenue accro et j’ai enchaîné, vers 14-15 ans, avec l’ecstasy et la cocaïne que je trouvais en boîte de nuit (où j’allais en cachette), et aussi l’alcool. Pour avoir de l’argent, je mentais à ma grand-mère, j’inventais des cadeaux à faire aux copines. Mes parents s’en sont rendu compte, se sont dit que s’il y avait un conflit avec eux je serais plus heureuse au loin. J’ai fréquenté les internats français et américains. J’en étais virée à chaque fois parce que je fumais. J’ai suivi ma première cure de désintoxication aux Etats-Unis à 15 ans. J’ai vu des dizaines de psys, j’ai écumé toutes les cliniques de ­Paris et des environs, les urgences psychiatriques aussi. Dix cures, quinze hospitalisations…
J’ai fait mon “entrée dans le monde” au bal des débutantes, Hôtel Crillon, sous l’emprise de diverses substances. Une tradition ridicule, mais j’avais envie de me sentir un peu normale (pour mon milieu). J’ai été acceptée dans une bonne école de photographie, mais j’étais incapable de suivre les cours. Consommer des produits, boire du soir au matin passait avant tout. Je n’avais ni envie de mourir ni envie de vivre.
J’ai fini par peser 45 kg pour 1,68 mètre. Je m’habillais chez les enfants. Le pire, c’est que j’étais devenue tout ce que je savais ne pas être. Menteuse, tricheuse, indigne de confiance. C’était le cercle vicieux : on a honte donc on ­consomme, on consomme donc on a honte… J’ai frôlé l’overdose, j’ai eu un accident de voiture après avoir mélangé ­alcool et médicaments. J’étais tellement anesthésiée, je me respectais si peu, qu’un policier a abusé de moi, une nuit, dans le 18e arrondissement de Paris, sans que cela me traumatise vraiment.
On a honte donc on consomme
Je n’ai vraiment eu envie de ­décrocher que vers 29 ans. J’étais à bout. Mes parents m’ont proposé de me payer une dernière désintox. Je me suis retrouvée en Angleterre, en banlieue de Bristol, dans un centre qui utilisait la « méthode Minnesota », au milieu de toxicos des rues auxquels je ressemblais. Rien de plus démocratique que les addictions ! La psy en chef s’était prostituée pour acheter des doses, un thérapeute avait séjourné huit ans en prison, une autre s’était vu retirer ses enfants. Ils étaient rudes, du genre à dire : “Dans la pièce, un sur trois s’en sortira, les deux autres mourront.”Et à nous pousser à prendre conscience du mal qu’on faisait à nos familles. C’était la première fois qu’on ne me disait pas “ma pauvre petite, ça a dû être difficile”. On m’a donné le choix entre la vie et une mort certaine, j’ai choisi la vie.
Je me suis inscrite à la fac de Bristol, j’ai passé deux diplômes de psychothérapie, puis j’ai décroché une bourse pour un master de psychologie de l’addiction, à Londres. J’ai ouvert un cabinet à Paris. Pendant les deux ans et demi où j’ai ensuite étudié la psychothérapie en France, avec parfois des cours à l’hôpital Sainte-Anne, où j’avais été hospitalisée, je n’ai jamais senti que je pouvais raconter mon parcours. En Angleterre, tous les profs sont d’anciens « addicts » et le ­disent, comme les élèves concernés.
Dans mon cabinet, je reçois beaucoup de gens très connus et d’autres qui n’ont pas le sou. Les uns paient pour les autres. J’accompagne les familles en hommage à ce que mes parents ont ­enduré. Quand je fais de la prévention à la fac, je commence à parler dans le brouhaha, mais dès que je dis que j’ai beaucoup bu et fumé, plus un étudiant ne parle. Je ne suis pas le gendarme avec sa mallette, je leur dis la vérité. Oui, c’est très bon, la drogue, l’alcool. Mais il faut en connaître les risques. Une personne sur trois développe une addiction.
Je reste une « addict »
J’ai 41 ans, je suis mariée, j’ai deux petits garçons. Je n’ai jamais rebu ni repris de drogue, mais je reste une “addict”, c’est incurable. Chaque jour d’abstinence est une prouesse. Quand je suis partie en cure à Bristol, ma mère m’avait glissé le livre du journaliste Hervé ChabalierLe Dernier pour la route [Robert Laffont, 2004] dans ma valise. Il m’a aidé. La bouteille avait failli le tuer alors qu’il avait tout dans la vie. Comme moi. Je crois en la force du témoignage. A mon tour de me dévoiler. J’ai envie de dire que j’ai arrêté de consommer et que je me sens bien. Peu importe si, à la sortie de l’école, certaines mamans me ­regardent de travers. »

Aucun commentaire: