A Cesson, en Seine-et-Marne, un établissement prend en charge des patients de moins de 60 ans atteints par cette maladie mal connue, et pour laquelle il n’y a aucun traitement.
Il le dit sans hésiter : «C’est terrible, ils sont jeunes, 40-50 ans. Leur vie professionnelle, familiale, sociale était encore en pleine vie.» Jean Dautry, qui préside l’association Espoir Alzheimer, ajoute : «Pour eux, d’un coup, tout bascule, sans prévenir et sans que l’on fasse rapidement le diagnostic. Leur famille n’en peut plus, ils n’ont plus de travail, le maintien des relations est de plus en plus impossible. Devant ces urgences, que faire ? Il n’y avait rien.»
Depuis un an existe désormais un endroit, bizarrement appelé «le Chemin». Un lieu planté dans un lotissement flambant neuf de Cesson, en Seine-et-Marne : c’est un établissement de 50 places, unique en France, destiné à accueillir des personnes touchées précocement par la maladie d’Alzheimer, c’est-à-dire avant 60 ans. Le patient le plus jeune a 37 ans. On pénètre dans les lieux avec précaution. Un peu partout, il y a des caméras et une lourde grille qui rend l’accès très contrôlé. A l’intérieur, les bâtiments sont couverts de couleurs vives, comme s’il fallait réveiller le regard. Puis suivent des cours ou des jardins pour déambuler.«On commence à s’y repérer», dit joliment la directrice adjointe.
«Plus de 30 000 "jeunes" malades en France»
Ce projet a mis longtemps à prendre forme. Au départ, il ne devait accueillir que des malades précoces d’Alzheimer, mais les autorités doutaient de sa pertinence et du besoin. Finalement,«des personnes souffrant de lésions cérébrales», la plupart à la suite d’AVC ou d’accidents crâniens, sont également accueillies. «Nous savions qu’il y avait une demande,raconte Jean Dautry. On l’oublie, mais la maladie d’Alzheimer n’est pas spécifique aux personnes âgées. En France, ils sont plus de 30 000 "jeunes" malades de moins de 60 ans».
Le Chemin, inauguré par la ministre de la Santé, Marisol Touraine, est formellement un foyer médicalisé, où les patients sont des résidents. Leur chambre est un lieu privé. «Le projet ne se veut pas médical, insiste la direction. Il s’agit de mettre en place une prise en charge non médicamenteuse, pour diminuer ainsi fortement les neuroleptiques. Toute la journée, il y a des activités», explique la directrice adjointe. L’agence régionale de santé (ARS) et le département ont dégagé des moyens, c’est-à-dire du personnel. En tout, 74 emplois à temps plein pour 50 places, un taux qui ferait rêver nombre d’établissements comparables. Le prix de journée est autour de 223 euros mais, selon la situation, le résident va payer de 15 à 60 euros.
Au foyer, le mélange de pathologies, entre les patients qu’on appelle les «cérébro-lésés» et les jeunes malades d’Alzheimer, n’est pas toujours simple. Car ce n’est pas la même histoire ni, surtout, la même évolution. «Quand "les Alzheimer précoces" arrivent ici, c’est qu’ils ont été malades déjà pendant des années,explique le médecin du lieu, Alain Deluz. «En quelques mois, on le voit, ils perdent beaucoup, se dégradent vite. Ils ne parlent plus», raconte Catherine, une aide de vie qui évoque une résidente, Dorothée. Elle est là, étendue dans le couloir. «Il y a deux mois, on arrivait à échanger, maintenant il y a juste le toucher.» «C’est un accompagnement du résident pour lequel on doit s’adapter très rapidement, car ça bouge vite», poursuit Sophie, éducatrice.
La quasi-totalité des malades atteints de cette forme précoce sont devenus silencieux. Les patients se rendent-ils compte de leur situation ? «Je ne sais pas. Il peut y avoir des moments de conscience, cela se traduit parfois par un agacement, mais ce sont des tout petits moments, tente de répondre une animatrice.Il peut y avoir surtout un sentiment de tristesse, plus que de souffrance.» N’est-ce pas trop dur ? «On arrive toujours à faire quelque chose. Même si l’évolution de la maladie est rapide, ce n’est pas inutile. Mais on sait que la dégradation est là, inéluctable.» «Ici, analyse une autre animatrice, on essaye d’organiser des journées très claires, avec des emplois du temps assez précis. Il faut lutter contre la désorganisation de l’esprit et du corps.»
«Les prendre en charge comme les autres»
La majorité des résidents viennent du domicile, les familles sont présentes. Le docteur Alain Deluz est le seul médecin généraliste de la structure, présent une demi-journée par semaine.«La Seine-et-Marne est un département sinistré, un grand désert médical, explique-t-il. Je viens ici tous les mardis après-midi. Ma tâche est un travail classique de médecin généraliste. Les choses les plus difficiles à gérer, ce sont les crises d’épilepsie ou les chutes. Par semaine, on doit envoyer deux à trois fois des résidents aux urgences. On entend souvent des réactions du genre : "Mais vous pensez que c’est vraiment bien nécessaire de les soigner pour leur cancer ou leur maladie cardiaque ?" Mon boulot, c’est de les prendre en charge comme les autres.»
Pour certains qui ne vont pas trop mal, l’équipe essaie de maintenir les contacts avec l’extérieur. Mais pour les autres ? Quelle est, par exemple, leur volonté ? «Une fois, une résidente ne voulait pas rester mais, comment dire, ce sentiment lui est passé très vite tant la dégradation a été rapide pour elle», lâche une éducatrice qui fait de l’art-thérapie. «On est là, on les accompagne», insiste la sous-directrice. En un an, il y a eu six décès. «En tout cas, la demande est là, conclut Jean Dautry. On va évaluer cette expérience, mais très vite il faudrait arriver à une structure de ce type par département.»
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