Quinze minutes de consultation, et la visite du docteur Elisabeth Tabary s’achève autour de la grande table du salon. La patiente, âgée de 75 ans, est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Il faut renouveler ses ordonnances, lui prescrire de quoi mieux dormir. « Il n’y a pas si longtemps, les médecins faisaient des visites à domicile pour n’importe quel motif. Mais c’est tellement chronophage et mal rémunéré qu’on ne peut plus se le permettre », témoigne la généraliste. A 33 euros la consultation, elle a choisi de ne faire que deux visites de ce type par jour, essentiellement chez des personnes âgées qui ne peuvent plus se déplacer jusqu’à son cabinet, situé à l’entrée de Saint-Jean-de-Bournay (Isère), une commune de 5 000 habitantsà mi-chemin entre Vienne et Bourgoin.
Elisabeth Tabary, 35 ans, est l’un des 115 214 médecins libéraux français dont la rémunération et le mode d’exercice vont être directement touchés par l’issue des négociations entre l’Assurance-maladie et les syndicats de médecins libéraux. Quel doit être le montant de la consultation « standard » chez le généraliste ? Comment encourager des médecins à s’installer dans les déserts médicaux ? Quelles aides financières pourraient améliorer la prise en charge des patients ? Des discussions que la jeune médecin suit à travers les comptes rendus que lui envoie régulièrement MG France, le premier syndicat chez les généralistes, l’organisation dont elle se sent le plus proche.
Nouveaux patients au « compte-gouttes »
Des horaires de bureau (9 heures-midi, 14 heures-18 heures), le mercredi chômé, un samedi matin sur deux travaillé, au moins sept semaines de congés par an pour voir grandir ses quatre enfants… Le docteur Tabary fait partie de cette nouvelle génération de médecins bien décidée à ne pas sacrifier sa vie personnelle à l’exercice de son métier. « Etre là de 6 heures à 22 heures, ce n’est plus possible. J’ai vu trop de médecins de 50-55 ans en burn-out… », dit-elle. Elle voit pour sa part entre vingt à vingt-cinq patients par jour, un peu plus en hiver. Elle assure également un soir de garde (20 heures-minuit) par semaine « mais le téléphone sonne de moins en moins ».
Après quatre années à effectuer des remplacements, elle s’est installée, en janvier 2014, dans ce cabinet, situé dans une zone considérée comme fragile – du point de vue de la démographie médicale – par l’agence régionale de santé (ARS). Trois autres praticiens exercent à ses côtés. « Au total, nous sommes neuf médecins pour un bassin de population d’un peu plus de 15 000 habitants, ce qui nous permet de bénéficier d’aides », explique la médecin, qui n’accepte de nouveaux patients qu’au « compte-gouttes ».
« Pas une nantie »
Sur une feuille, elle a listé les diverses primes, forfaits et aides que lui versent chaque année l’Assurance-maladie ou l’ARS. Elle perçoit 8 000 euros, parce qu’elle respecte de nombreux indicateurs de qualité de la pratique médicale (suivi des maladies chroniques comme le diabète, vaccination, dépistage) et d’organisation du cabinet (télétransmission des feuilles de soin). Une rémunération forfaitaire mise en place lors de la précédente convention en 2011.
Elle touche également 5 000 euros par an d’aide à l’investissement dans le cadre de « l’option démographie », parce qu’elle exerce en désert médical. Récemment installée, elle bénéficie également des avantages du statut de « praticien territorial de médecine générale », ce qui lui a notamment permis de recevoir 3 000 euros par mois lors de son congé maternité en 2015. Il y a également le forfait médecin traitant (5 euros par an et par patient) et le forfait personnes âgées de plus de 80 ans.
« Mis bout à bout, tous ces trucs forfaitaires, c’est quand même intéressant », assume Elisabeth Tabary, qui reconnaît « bénéficier à fond du système ». Après avoir fait ses calculs et déduit le montant de ses charges, elle dit toucher un revenu mensuel compris entre 7 000 et 8 000 euros par mois, pour environ quarante heures de temps médical par semaine. « J’ai un niveau de vie confortable mais je ne me considère pas comme une nantie, tempère-t-elle. J’ai fait dix ans d’études, j’ai des responsabilités. »
Différencier les tarifs
De l’autre côté du couloir, son collègue Yves Cosentino estime qu’au vu du travail fourni, « ce serait normal que la rémunération augmente un peu ». A 58 ans, il effectue de plus grosses journées de travail. Commençant ses journées à 7 h 30 et les terminant vers 20 heures, il voit jusqu’à trente-cinq patients par jour, et gagne entre 11 000 et 12 000 euros par mois. « Le salaire d’un cadre supérieur. »
La hausse du tarif de la consultation standard de 23 à 25 euros, Elisabeth Tabary la voit d’abord comme une « reconnaissance », après plusieurs années sans hausse pour les médecins qui ne pratiquent pas de dépassement d’honoraires : « On ne garde environ que la moitié de cette somme. »
Mais pour elle, la priorité serait sans doute de différencier les tarifs des consultations. « Est-ce logique de demander la même chose pour un enfant enrhumé et pour quelqu’un qui vient pour des problèmes psychologiques ? L’un va me demander dix minutes, l’autre quarante-cinq. »
Les syndicats réclament également la mise en place d’un forfait-structure pour aider les médecins à financer un secrétariat, et ainsi leur libérer du « temps médical » supplémentaire. A Saint-Jean-de-Bournay, les quatre médecins payent déjà une secrétaire à temps plein.Sans être demandeuse de cette nouvelle subvention, le docteur Tabary juge qu’« une personne supplémentaire pourrait scanner à sa place les courriers que lui envoient les spécialistes », ce qui lui libérerait une heure de temps médical en plus chaque jour.
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