Son absence est sans doute passée inaperçue des centaines de patients et de soignants qui franchissent chaque jour les portes de l’hôpital William-Morey de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), un immense parallélépipède de verre et de béton posé depuis 2011 à l’entrée de la ville, entre la Saône et l’autoroute A6. Dans le hall d’entrée ou sur les murs de l’accueil des urgences, aucune « charte de la laïcité » ne vient rappeler les limites de la religion dans l’enceinte de ce service public. « On a fait le choix de ne pas l’afficher car cela aurait pu paraître comme ostentatoire et faire figurer comme un problème ce qui n’en est pas un,comme l’explique Philippe Hubert, le directeur de la qualité, du risque et de la clientèle.
L’Observatoire de la laïcité a adopté, mardi 16 février, un guide pratique sur la question du fait religieux à l’hôpital. « De façon générale, hors situation d’urgence, sur cette question, le système public s’adapte, poursuit M. Hubert. On se doit de donner satisfaction aux demandes des patients dans la mesure où cela ne trouble pas le bon fonctionnement de l’hôpital. »
Si la ville de Chalon-sur-Saône a fait parler d’elle cet automne lorsque son maire, Gilles Platret (Les Républicains), a mis fin au menu de substitution au porc dans les cantines scolaires au nom de la « neutralité de l’organisation du service public », la polémique n’a pas concerné l’hôpital. Les plaintes liées à des atteintes graves à la laïcité sont « rarissimes », assure Bruno Legourd, le directeur. En admettant aussitôt que « certaines situations pourraient devenir explosives sans dialogue et pédagogie ». Des incidents liés pour la plupart à des demandes de prise en charge par des femmes uniquement ou à la pratique de certains rites funéraires par des personnes de confession musulmane.
Pédagogie et dialogue
Situé dans un département semi-rural, loin des grandes agglomérations, l’hôpital de Chalon-sur-Saône serait-il un « sanctuaire » peu représentatif de la situation des autres établissements publics de santé en France ? Une enquête a été menée En juin 2015, la commission des usagers de la Fédération hospitalière de France (FHF), le lobby des hôpitaux publics, a interrogé 1 200 établissements. Seuls 172 questionnaires étaient exploitables et sur ce total, plus des deux tiers (68 %) des établissements publics de santé et médico-sociaux français n’avaient constaté aucune « situation problématique » avec des usagers en matière de laïcité et, de façon générale, le nombre de problèmes liés à cette question était « faible ».
« Nous avions été interpellés par certains faits divers et leur résonance après les attentats de janvier 2015, explique Frédéric Valletoux, le président de la FHF. Au vu des résultats de l’enquête, même s’il y a des territoires où la pression est plus forte, globalement le sujet est géré. L’hôpital n’est pas un lieu permanent d’affrontement autour de la question de la laïcité. »
Dans les faits, relevait la commission des usagers de la FHF, beaucoup d’établissements et de services trouvent des solutions « négociées » entre les différents acteurs. Un « pragmatisme », fait de pédagogie et de dialogue, que l’on retrouve à Chalon.
A la maternité, qui réalise environ 2 000 accouchements chaque année,les cas en lien avec des demandes d’ordre religieux s’avérant « un peu compliqués » se comptent sur les doigts d’une main. Même si des hommes de confession musulmane demandent « régulièrement »que leur épouse soit prise en charge par une femme, « beaucoup de petites situations se dénouent lors del’entretien du quatrième mois de grossesse », raconte Annie Burnet, cadre de santé du pôle mère-enfant. A la maternité de Chalon, sur quarante sages-femmes, trois sont des hommes. Côté médecins, cinq sur neuf sont des hommes.
« Nous expliquons que nous sommes tenus à la neutralité et qu’il n’y a pas de différence de sexe ou de race dans la façon dont nous traitons les patients, raconte Mme Burnet. La plupart du temps, cette pédagogie fonctionne. Si ça ne marche pas, on leur demande de s’en remettre à leur imam, pour qu’il leur accorde une dérogation. » Car si la loi prévoit que le patient a le droit de choisir librement son soignant, cette liberté s’arrête aux situations d’urgence et aux contraintes liées à l’organisation d’un service. « Si ça ne gêne pas, on va accéder à la demande, témoigne le Dr David Corege, qui dirige le pôle des urgences. Mais quand il n’y a pas de médecin femme de garde, je dis : “C’est un homme ou rien.” »
« On ne va pas aller au clash »
A la maternité, Mme Brunet confirme. « Je ne veux pas qu’on leur gâche ce moment-là, dit-elle. On porte nos valeurs mais on ne va pas aller au clash. Avec les refus de sages-femmes hommes, j’insiste pour que la réponse à la demande n’apparaisse pas comme allant de soi. On les arrange mais on ne les conforte pas. »
Au rez-de-chaussée du bâtiment, au funérarium, les règles de fonctionnement de l’hôpital doivent régulièrement être rappelées lors des toilettes rituelles mortuaires de personnes de confession musulmane. Soit environ quinze à vingt fois par an. Ce sont alors 100 à 150 proches qui peuvent se presser aux portes de la petite salle d’attente de la chambre mortuaire ou de la salle de départ des convois mortuaires. « On a fait valoir les problématiques de sécurité auprès de l’imam du centre hospitalier et on arrive maintenant à ce qu’ils soient moins nombreux », raconte Sylvie Cordier, cadre au SAMU-SMUR et à la chambre mortuaire.
Pour mieux gérer toutes ces situations, minoritaires mais régulières, la Fédération hospitalière de France appelle à « mieux recenser les situations délicates afin de mieux les anticiper », à valoriser les bonnes pratiques, à mettre en place des référents laïcité dans chaque établissement et enfin à renforcer la formation initiale et continue des acteurs.
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