Endettement, absentéisme, clientélisme… Pour tenter de sortir l’hôpital public à Marseille d’une crise profonde et durable, l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) organise, jeudi 25 et vendredi 26 juin, des états généraux, fruit d’une « vraie introspection des 15 000 agents », censés dessiner les pistes pour sauver le troisième CHU de France. Des journées organisées alors que, dans toute la France, les fédérations CGT, FO et SUD des secteurs de la santé appellent à la grève, jeudi, contre l’austérité et pour défendre l’hôpital public.
Lancés par la commission médicale d’établissement (CME) pour « sortir de l’immobilisme sans attendre un nouveau rapport de l’IGAS [inspection générale des affaires sociales] qui dira que tout va mal », les Etats généraux marseillais ont été précédés par un courrier de la nouvelle directrice à tous les agents de l’AP-HM, leur promettant du sang et des larmes. Trois mois après sa prise de fonctions, Catherine Geindre confirme la gravité d’une situation qui se résume à quelques constats : dette colossale de plus d’un milliard d’euros, déficit annuel chronique d’environ 40 millions d’euros, absentéisme record, gestion coûteuse de deux immeubles de grande hauteur…
La crise avait connu, fin mars, son paroxysme avec la démission sous forme de limogeage du directeur général, Jean-Jacques Romatet, annoncée par un communiqué sec du ministère de la santé. Nommé vingt-sept mois plus tôt avec pour objectif de « ramener la République dans les hôpitaux de Marseille », Jean-Jacques Romatet confie avoir « voulu créer un électrochoc ». L’ex-directeur général s’est trouvé comme pris dans un étau. D’un côté, une tutelle arc-boutée sur un contrat de retour à l’équilibre financier (CREF)de 86 millions d’euros sur quatre ans, incluant une baisse des charges de 55 millions. De l’autre, des médecins qui ont refusé de valider « en l’état » cette saignée financière. « C’est trop et trop rapide… Un tel plan social déguisé va mettre à genoux l’AP-HM qui risque ainsi de mourir guérie », estime le professeur Guy Moulin, président de la CME.
« Bureau d’embauche »
Médecins et syndicats redoutent la suppression de 500 à 1 000 emplois, et la fermeture de 150 à 300 lits. « Les deux tiers de ce CREF se font sur le dos des salariés, alors que les 15 000 agents sont déjà en burn-out », déplore Audrey Jolibois, secrétaire générale adjointe de Force ouvrière. Les réunions préparant un appel à la grève lancé, fin mars, par l’intersyndicale ont été « très suivies par un personnel inquiet de son avenir, témoigne Danielle Ceccaldi (CGT). Mais désormais tout est en stand-by ». Le plan de retour à l’équilibre devrait revenir sur la table en septembre.
« On voulait changer de cap, pas de capitaine. Le ministère a changé de capitaine, mais pas de cap », déplore Michel Tsimaratos, chef d’un service pédiatrique, qui craint que les restructurations n’affaiblissent deux des quatre sites de l’AP-HM. Jean-Jacques Romatet critique, lui, l’intransigeance de l’Agence régionale de santé : « Les pouvoirs publics ne veulent plus qu’on tergiverse, mais ce dont l’AP-HM a le plus besoin, ce sont moins des économies rapides que des effets structures à même de ramener une saine gestion. »
Dans un rapport de janvier 2014, l’IGAS dénonçait le clientélisme au sein de l’AP-HM : « L’inertie qui a caractérisé l’établissement pendant des années et la prégnance du poids politique et d’organisations syndicales fortes sont des freins réels à la restauration d’un fonctionnement normal de l’institution. » Un « bureau d’embauche » des agents hospitaliers a fonctionné au cabinet du maire de Marseille. Un leader de Force ouvrière – syndicat majoritaire – s’était déclaré « véritable patron de l’AP-HM ». On prête à ce syndicat d’avoir pu gérer un portefeuille d’emplois. « Le clientélisme, c’est terminé », avait assuré Jean-Jacques Romatet, alors que des conseils de discipline ont prononcé des radiations pour des recrutements jugés médiocres.
Emprunts toxiques
Autre cause profonde du mal marseillais, l’AP-HM se place en deuxième position des établissements français pour l’absentéisme. Ce sont l’équivalent de 200 postes de plus par jour dans les services qui seraient gagnés sur la base d’un absentéisme équivalent à celui des hôpitaux de Nice ou de Montpellier.
Outre le poids d’emprunts toxiques dans sa dette (185 millions d’euros, soit 21 %), l’AP-HM pâtit de la structure de la Timone et de l’hôpital Nord, deux immeubles de grande hauteur. Cela génère des surcoûts évalués à une quarantaine de postes réservés à la sécurité et une facture de 5 millions d’euros par an.
Avec une salle de bains pour trente malades dans certains services, les prestations hôtelières ne sont plus à la hauteur de la concurrence du privé, très forte. « En 1974, la Timone était le plus bel hôpital d’Europe, note Brigitte Chabrol, chef de service à l’hôpital pour enfants. Mais il n’a jamais connu de réhabilitation. » Aujourd’hui, il faut trente-cinq minutes aux brancardiers pour acheminer un patient des étages vers les salles d’opération ou les services d’imagerie. Les ascenseurs entravent le bon fonctionnement. « Pour dix-sept étages, il existe deux monte-malades, explique Michel Tsimaratos. Au quinzième étage, ce sont 8 000 consultations pédiatriques par an qui sont réalisées, alors qu’avec une poussette un ascenseur n’embarque pas plus de trois personnes. »
Sans un apurement financier, l’AP-HM ne pourra pas obtenir l’aide de l’Etat pour les deux chantiers indispensables à son projet médical : la rénovation de la Timone et de l’hôpîtal Nord (50 millions d’euros) et la création d’un hôpital parents-enfants (70 millions d’euros) en remplacement de la maternité de la Conception, vétuste et en perte d’attractivité.
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