Claude Charamathieu a la taille petite, le cheveu grisonnant mais l’œil pétillant, et ne semble en rien découragé par un métier qui consiste un peu à vider la mer avec une petite cuillère. Son équipe de 31,3 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation à plein-temps (dix de moins que l’effectif théorique) a la charge de 4 400 mesures, soit 3 400 personnes condamnées, souvent paumées, chômeuses, parfois droguées ou violentes, dont il s’agit de favoriser l’insertion bien plus que la réinsertion. L’ancien éducateur de 62 ans est aujourd’hui directeur du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) du Val-de-Marne et ravi d’essuyer les plâtres de la nouvelle peine de probation, la contrainte pénale, entrée en vigueur le 1er octobre 2014.
« Créteil a été la première juridiction à prononcer des contraintes pénales, se réjouit le directeur, 14 en octobre et novembre 2014, rien en décembre-janvier, puis nous avons organisé une réunion avec les magistrats en février pour voir comment on abordait cette nouvelle mesure. » Il y a en effet une première ambiguïté à lever, la différence entre le vieux sursis mise à l’épreuve (SME), créé en 1958, et la contrainte pénale née de la loi du 15 août 2014. Toutes deux sont des mesures « en milieu ouvert », hors de la prison, et consistent en un suivi régulier des condamnés, soumis à un certain nombre de contraintes, décidées par le tribunal, et ajustées par le juge d’application des peines : obligation de soins, de travail ou de formation, remboursement des victimes, interdiction de les rencontrer, travail d’intérêt général…
Le SME dispense, pendant un à trois ans, le condamné d’effectuer une partie de sa peine ; s’il contrevient à ses obligations, il retourne en prison. La contrainte pénale est en revanche une peine à part entière, d’une durée de six mois à cinq ans, pour les condamnés à des délits (et non des crimes) punis de moins de cinq ans d’emprisonnement, soit la grande majorité. En 2017, elle sera élargie à tous les délits. Un condamné soumis à un SME voit son conseiller d’insertion au mieux une fois par mois ; pour la contrainte pénale, c’est tous les quinze jours : l’investissement est plus lourd, au point que certains détenus préfèrent rester quelques mois de plus en prison.
Le condamné à une contrainte pénale est conduit au SPIP dans les huit jours, et pris en charge par le conseiller de permanence. « On a deux mois et demi pour faire au moins quatre entretiens de diagnostic, dont un par la psychologue du service, explique Claude Charamathieu. Pour connaître l’histoire de la personne, son milieu, son profil, ses aptitudes, ses failles aussi. » L’équipe se réunit ensuite en commission de concertation professionnelle et d’orientation (CCPO, l’administration aime bien les sigles), avec si besoin la protection judiciaire de la jeunesse, les associations d’insertion partenaires ou des professionnels de la santé.
« Notre objectif est d’étoffer la pluridisciplinarité », insiste Claude Charamathieu, pour définir une prise en charge individualisée, confiée à un conseiller qui suivra le condamné jusqu’au bout de la peine. C’est que la contrainte pénale s’adresse au public qui en a le plus besoin, et « il s’agit d’être créatif, d’être imaginatif. On demande au conseiller de faire preuve d’empathie, d’être à l’écoute, de prendre en compte les aptitudes du condamné, pas de se substituer à lui ».
Tout cela flotte certes encore un peu : les magistrats de Créteil ont prononcé deux contraintes pénales illégales – pour des délinquants qui encouraient une peine supérieure à cinq ans –, un condamné n’est même pas arrivé au bout de la période de diagnostic et a été écroué au bout d’un mois, et pour l’heure le SPIP de Créteil n’a eu à prendre en charge que 17 contraintes pénales. C’est peu, et c’est heureux, « parce qu’on a du mal à s’extraire de la charge de travail du SME », explique le directeur.
La méthode s’affine peu à peu. Les SPIP de neuf départements testent des« outils actuariels », des grilles mises au point notamment au Canada pour améliorer l’évaluation, un peu à la façon des assureurs pour calculer les risques ; les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (les CPIP) travaillent plus étroitement avec les juges d’applications des peines – « les relations sont moins féodales qu’elles l’ont été », convient un conseiller – et sont pour l’heure partagés entre cette incontestable revalorisation de leur métier et la méfiance pour cette nouvelle mesure, dans une profession qui a quelques raisons d’être traumatisée.
Le tournant de l’affaire de Pornic
« Les conseillers ont été usés par les multiples réformes de la procédure depuis 1999, explique Claude Charamathieu, qui ont à chaque fois augmenté la charge de travail sans en donner les moyens. » Au début des années 2000, le SPIP de Créteil avait la charge de 1 500 personnes ; quinze ans plus tard, le double. Le tournant, c’est l’affaire de Pornic en 2011, lorsqu’un sortant de prison après une petite condamnation – mais doté d’un gros casier – n’a pas été pris en charge par le SPIP et a tué une jeune fille. « Le SPIP de Nantes a été montré du doigt, raconte le directeur, alors que c’était le cas partout. On avait posé le principe qu’un CPIP ne pouvait pas prendre en charge plus de 65 personnes. »
Jusqu’en 2005, les CPIP sont suffisamment nombreux pour voir à peu près tout le monde au moins une fois par mois. Puis, avec les multiples réformes, les SPIP ont commencé à accumuler un stock qui n’a cessé de croître jusqu’en 2010. Après Pornic, il a fallu à marche forcée résorber les affaires pendanttes, ce qui a été le cas, non sans douleur, en 2013. Chaque CPIP a désormais à Créteil à gérer 95 personnes – contre 91 en moyenne pour l’ensemble de la France – alors que le ratio théorique est de 82, le ratio souhaitable de 60. Toutes les prises en charge ne demandent pas le même investissement, mais un suivi intensif, en cas de « risque élevé », devrait être limité à 20 dossiers par agent, selon l’American Probation & Parole Association, et de 50 pour un risque « modéré à élevé ».
« On est déjà débordé, convient la conseillère Marie Trestmontant, j’étais assez réticente au début, on n’a pas de voitures pour aller voir les familles, les associations partenaires sont touchées par la crise et ferment les unes après les autres. » Mais les conseillers croient en leur métier et serrent les dents. Et ne se font pas trop d’illusion sur l’arrivée promise de renforts.
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