En sixième, mon fils est devenu très sombre. Il avait envie de mourir, et était agressif avec moi. Je l’ai emmené voir un pédopsychiatre, qui l’a hospitalisé en urgence. Il avait beaucoup d’hallucinations. Tout ce que je lisais sur Internet me faisait penser à la schizophrénie, mais quand j’ai posé la question au médecin, il m’a fait : “Chut !” J’ai compris que j’avais vu juste », raconte Jennifer Bunnens. Trois ans plus tard, avec Stéphanie Berthier, dont le fils, également diagnostiqué schizophrène à l’âge de 10 ans, était suivi par le même médecin, la jeune femme a fondé l’association Javann.
En un an d’existence, celle-ci compte déjà 70 adhérents, dont 14 enfants et 4 jeunes adultes atteints de schizophrénie, qui habitent dans un rayon de quelques dizaines de kilomètres autour de Château-Gontier, une petite ville de Mayenne. Le plus jeune a 7 ans.
« Les formes précoces de schizophrénie, qui débutent avant 18 ans, et les formes très précoces, avant 13 ans, sont peu fréquentes, mais souvent méconnues », souligne le professeur Olivier Bonnot, responsable de l’unité universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHU de Nantes, en contact régulier avec l’association Javann.
« L’ami imaginaire »
Le sous-diagnostic s’explique d’abord par des raisons cliniques. « Jusque 7-8 ans, il est difficile de distinguer un délire d’une imagination fertile. Quant aux hallucinations, 2 % à 4 % des enfants en ont, sans que ce soit forcément pathologique. L’ami imaginaire en est un exemple type, poursuit le pédopsychiatre. Par ailleurs, les symptômes ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux de l’adulte. L’agitation psychomotrice (hyperactivité) peut par exemple être au premier plan. »
A ces difficultés de diagnostic clinique s’ajoutent des facteurs plus idéologiques. Longtemps sujet de débats, le concept de schizophrénie précoce n’est toujours pas totalement accepté en psychiatrie de l’enfant. « Le diagnostic est lourd de sens pour le patient, ses parents et même pour le médecin, ajoute Olivier Bonnot, mais paradoxalement, l’annonce peut être aussi vécue comme un soulagement par des familles en errance depuis des années. »
Selon ce spécialiste, un repérage précoce est essentiel, « d’autant que dans 15 % à 20 % des cas, les schizophrénies infantiles sont associées à des pathologies organiques (maladies génétiques, infectieuses, neurologiques…) qu’il faut systématiquement rechercher pour les traiter ou les surveiller ».
Jennifer Bunnens le confirme, le fait de mettre un nom sur les maux de son fils lui a permis d’avancer. « Ce qui nous est arrivé comme un malheur n’en est plus un. Quand on fait l’effort d’entrer dans le monde des enfants schizophrènes, c’est passionnant. Il faut valoriser cette maladie. La schizophrénie de l’enfant, c’est tabou chez les médecins, mais quand je l’explique aux personnes que mon fils côtoie, je n’ai pas de réactions négatives », assure-t-elle. Unique association consacrée aux schizophrénies précoces, Javann reçoit, d’un peu partout en France, de plus en plus d’appels de parents déboussolés. « On essaie de les soutenir, de les aider à trouver un service spécialisé dans leur région… raconte Jennifer Bunnens. Je ne pensais pas que notre petite association prendrait autant d’ampleur. »
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