Selon ce médecin, c’est « la boîte noire de l’industrie pharmaceutique ». « Jamais aucun anticancéreux n’a été spécifiquement développé pour les enfants », constate, amer, le Dr Jean Michon, président de la Société française de lutte contre les cancers et les leucémies de l’enfant et de l’adolescent. « Les molécules que nous utilisons aujourd'hui sont presque toutes tombées dans le domaine public, et les laboratoires ne voient donc pas l’intérêt de
réaliser des essais cliniques en bonne et dûe forme. »
Chaque année, 2 500 nouveaux cas de cancers sont diagnostiqués chez les enfants (1 700) et les adolescents (800). La plupart sont traités avec des molécules développées pour les adultes et dont la posologie a été adaptée au poids et à la taille des enfants. Cela permet aujourd’hui de soigner 80% des cancers (c’est le taux de survie 5 ans après le diagnostic), mais beaucoup de progrès restent à faire : la toxicité de ces chimiothérapies a des conséquences à long terme sur la santé des enfants.
Des traitements pour adulte détournés
Et pour les cancers les plus rares, il n’y a souvent aucun traitement. « Aucun laboratoire n’est intéressé par le développement d’une molécule qui n’a aucun intérêt chez l’adulte », regrette le Dr Michon, citant le cas d’un candidat-médicament qui présentait un intérêt chez l’enfant mais remisé par des laboratoires, faute de données concluantes pour des cancers de l’adulte. La moitié des chimiothérapies utilisées chez l’enfant ont plus de 25 ans. Faute de mieux, les pédiatres détournent certains médicaments « adulte » de leur usage. « Il y a une certaine tolérance pour les patients qui sont en situation palliative », explique-t-il, et aucune information ne peut être correctement colligée sur l'efficacité de tous ces traitements
Il existe pourtant des deux côtés de l’Atlantique une législation incitant les laboratoires à développer des versions pédiatriques de leurs médicaments (une extension de six mois de leur brevet). A défaut, ils doivent au moins fournir quelques données. « Mais dans le cas d’anticancéreux, cette obligation est souvent contournée, car les cancers d’adultes n’existent pas chez l’enfant », souligne Patricia Blanc, qui a créé l’association Imagine for Margo après avoir perdu sa fille atteinte d’une tumeur au cerveau.
Démarche unique
Pour lever cet obstacle, les Etats-Unis accordent ainsi depuis 2011 un « bonus » supplémentaire aux laboratoires qui développent des médicaments spécifiquement pour les enfants : un « bon » pour une évaluation prioritaire de n’importe quel autre traitement. Ils peuvent l’utiliser pour leur propre compte ou le monnayer pour plusieurs dizaines de millions de dollars.
« Nous savons qu’il est possible de récupérer les 60 millions de dollars [52 millions d’euros] investis dans un essai pédiatrique », se félicite Raphaël Rousseau, chez Roche. Recruté il y a cinq ans, ce médecin a pour mission d’identifier, parmi toutes les molécules du groupe, les plus efficaces pour traiter les cancers pédiatriques. Une démarche unique dans l’industrie, selon lui. « Nos concurrents regardent cela avec intérêt, et nous discutons avec certains de la possibilité de nouer des partenariats. Dans ce domaine, il est très important de ne pas se marcher sur les pieds. »
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