Les Français veulent savoir. S'il existait un test fiable de dépistage avant même l'apparition des premiers symptômes de la maladie d'Alzheimer, 90 % des personnes interrogées déclarent qu'elles le feraient, selon un sondage TNS Sofres, publié à l'occasion de l'université d'été "Alzheimer, éthique et société", qui se tient à Lille du 17 au 20 septembre, avant la journée mondiale, le 21. Diagnostiquer de plus en plus tôt, la recherche y travaille et devrait aboutir d'ici quelques années. C'est la raison pour laquelle, pendant trois jours, neurologues, juristes vont aborder la question de l'anticipation face à une maladie qui s'étend.
Plus d'un quart des sondés affirment connaître une personne qui en est atteinte. Entre 2007 et 2010, le nombre de patients pris en charge en affection de longue durée pour Alzheimer ou d'autres démences a augmenté de 14,6 %, à plus de 315 000, selon l'Institut national de veille sanitaire. Au total, entre 750 000 et 1 million de Français seraient touchés.
"Un tel besoin de savoir est étonnant, puisqu'il n'existe pas de réponse thérapeutique", juge Emmanuel Hirsch, directeur de l'Espace national de réflexion éthique sur la maladie d'Alzheimer, organisateur de l'université d'été. D'ailleurs, même une fois rappelé qu'aucun traitement ne permet pour l'heure de guérir, 80 % des personnes interrogées confirment qu'elles voudraient faire le test.
"LES GENS VEULENT DE PLUS EN PLUS TOUT MAÎTRISER"
M. Hirsch y voit "le signe d'une société de plus en plus médicalisée, dans laquelle, par conséquent, les gens veulent de plus en plus tout maîtriser".Selon lui, un tel résultat s'explique aussi par le fait que "les Français ne sont pas convaincus des réponses politiques et sociétales qui seront apportées dans les années qui viennent à la montée en puissance des dépendances".
Les sondés voient bien des avantages à savoir au plus tôt : être rassuré si le test est négatif et, dans le cas contraire, d'abord gagner du temps d'un point de vue médical. Mais, aussi pouvoir prévoir, alors qu'ils posséderaient encore toutes leurs facultés, comment faire face à une probable maladie, notamment financièrement. Autres raisons : profiter du temps qui reste, préparer ses proches, organiser sa prise en charge...
"Mais il faut se demander comment ce savoir pourrait être géré. Il peut provoquer un traumatisme profond, et tout le monde n'a pas le pouvoir, on l'a vu avec le sida, de réussir à ce que l'existence ne soit alors pas minée", affirme M. Hirsch. Devoir d'accompagnement, droit d'ignorer, etc., les enjeux éthiques sont nombreux.
RISQUE DE RELÉGATION SOCIALE
"Ce besoin de savoir correspond à une recherche de relation et de partage des connaissances avec le médecin, signe de l'évolution de notre société, ainsi qu'à un souhait d'autonomie", juge pour sa part la psychosociologue et psychanalyste Dominique-Alice Decelle, auteur d'Alzheimer. Le malade, sa famille et les soignants (Albin Michel, 240 p., 19 euros), à paraître le 19 septembre.
Elle, qui estime que la médecine prédictive doit être abordée "avec une extrême prudence", juge avant tout primordial que l'image de la maladie change. "On a l'impression que la personne ne pense plus, ne sait plus rien. Or ce n'est pas tout à fait cela", explique-t-elle. C'est, de fait, clairement une angoisse qui transparaît face à cette maladie qui touche la personne dans son identité, fait courir un risque de relégation sociale, et évolue lentement et longtemps avant les premiers signes.
Des mots qu'on ne trouve plus, un rendez-vous oublié... Dans les centres de la mémoire des hôpitaux, on voit de plus en plus de patients venir consulter. "Le pire, c'est d'être dans l'incertitude", explique Florence Pasquier, professeur de neurologie au CHRU de Lille. En général, les symptômes sont bénins, et le diagnostic de la maladie d'Alzheimer n'est pas posé. Mais "quelquefois, ça ne suffit pas à rassurer la personne",poursuit-elle. Des patients restent alors suivis. Certains développent la maladie plus tard, d'autres jamais.
"JE N'AI PLUS LES MOTS"
Le centre de la mémoire de Lille propose par ailleurs à des patients chez lesquels il a diagnostiqué des troubles cognitifs légers d'entrer dans un projet de recherche national baptisé "Memento", pour suivre leur évolution.
Christian (qui n'a pas souhaité donner son nom), 79 ans, est le premier à avoir intégré cette cohorte, il y a trois ans. Quand il a constaté qu'il butait sur des noms, il a consulté. Sa mère et sa grand-mère étaient atteintes de"sénilité précoce, comme on disait alors". Depuis, lui et sa femme s'attachent à vivre "le plus normalement possible", malgré l'épée de Damoclès que représente la maladie. "Je n'ai plus les mots. Ce n'est pas l'intelligence qui est partie, mais la façon de l'exprimer", explique-t-il.
Comment le vit-il ? "Je ne suis pas d'un naturel à attendre des catastrophes. Et puis, c'est comme ça, on ne peut rien y faire", dit-il, philosophe. Sa femme dit être rassurée qu'il soit suivi. Depuis peu, son état s'est dégradé. Il fera cette semaine de lourds examens. Si, cette fois, un quelconque diagnostic est annoncé, ils aviseront.
C'est après son départ à la retraite que Guy (qui souhaite rester anonyme), 68 ans, inscrit aussi dans le programme Memento, a constaté "ne plus avoir la rapidité et la mémoire d'avant". Il a consulté. Il s'agissait seulement de troubles légers, et il en a été soulagé. Si un test avant les premiers symptômes existait, tous deux disent que, bien sûr, ils le feraient.
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