Par Laetitia Clavreul
Alors que la maladie d'Alzheimer touche entre 750 000 et 1 million de personnes en France, un sondage révèle que 9 personnes sur 10 seraient prêtes à faire un test prédictif – pour l'heure non disponible – afin de se préparer à affronter cette affection. Témoignages de ces personnes atteintes de troubles cognitifs bénins et suivis dans le cadre du projet de recherche Memento, au CHRU de Lille.
- "Je n'ose plus m'engager dans des conversations complexes, par manque de mots", Christian C., (79 ans), ancien responsable d'un cabinet d'architectes
Lui qui dit ne pas être inquiet ni révolté par ses troubles, l'avoue quand même : "La maladie d'Alzheimer, c'est un peu à cela qu'on pense quand on va faire des tests. Alors oui, en ne me posant pas ce diagnostic, les médecins m'ont un peu rassuré, je me sens plus léger."
Christian, qui habite la banlieue lilloise, a fait des premiers examens il y a trois ans parce qu'il butait sur des mots, mélangeait des événements, ne retrouvait pas les prénoms de ses enfants. Il avait des antécédents familiaux et a donc voulu savoir tôt. Il a accepté de participer au projet de recherche Memento, au CHRU de Lille, qui suit des patients atteints de troubles cognitifs légers."Je suis le premier patient de la cohorte", glisse-t-il, plutôt fier. Il le fait pour la science, mais aussi pour être lui-même suivi de près. Si un jour la maladie apparaît, c'est la garantie qu'il sera pris en charge plus tôt et mieux.
Tous les six mois, cet homme de 79 ans va y faire des tests de mémoire, et tous les ans, une IRM. Voire plus, comme cette semaine, où il a rendez-vous pour une scintigraphie du cerveau et une ponction lombaire pour analyser le liquide céphalorachidien, car aux derniers tests, cela a été "la dégringolade".
"Il faut être honnête, j'ai des arrière-pensées. Si c'est autre chose, j'en serai ravi", confie-t-il. Mais il se veut résolument optimiste."On peut toujours espérer, peut-être que d'ici quelques années on bénéficiera d'un traitement" pour cette maladie "qui change totalement la personnalité au bout d'un certain temps". Sa femme reconnaît que son tempérament"philosophe et fataliste est une chance pour lui et pour moi. Christian m'apaise, moi qui suis plus anxieuse que lui."
Depuis trois ans, il vit donc dans l'incertitude que la maladie se développe."On fait comme si tout cela n'existait pas pour éviter de se faire peur", mais il reconnaît y penser "quand même un peu". Il parle volontiers et beaucoup, parfois cherche ses mots et s'en excuse.
Ses troubles, cet ancien responsable d'un cabinet d'architectes ne les a pas cachés à ses amis. "J'avais peur que cela nous mette sur la touche sur le plan social, mais pas du tout. Parfois, ils m'aident naturellement, disent les choses pour moi", explique-t-il. Il a toutefois un regret : "Je n'ose plus m'engager dans des conversations complexes, notamment politiques, par manque de mots."
Christian fait aussi davantage répéter sa femme, ce qui l'agace un peu. Mais elle a compris que cela lui permettait de préparer sa réponse. Au quotidien, elle gère davantage de choses. Leur agenda est devenu "un véritable pense-bête". Il lit toujours autant, mais parfois rencontre des difficultés avec les polars. "Il ne faut pas que l'histoire soit trop compliquée, et dès qu'il y a trop de protagonistes, je me paume", rigole-t-il.
Et si jamais la maladie était diagnostiquée ? "On fera face comme on peut", disent-ils. Le couple a visité une maison de retraite avec une annexe pour les personnes atteintes d'Alzheimer. Marylise, qui a dix ans de moins que son mari, n'est pas prête à s'y installer. "Mais s'il faut le faire, on le fera, on s'habitue à tout quand on s'aime et qu'on est à deux", conclut-elle.
- "Etre suivi, cela lève l'angoisse", Guy B. (68 ans), ancien ingénieur en télécommunications
Peu après son départ à la retraite, Guy, ancien ingénieur en télécommunications, a eu l'impression "de ne plus avoir la rapidité et la mémoire d'avant". Lui qui avait dirigé plus de 300 personnes, connu le stress et la pression, et qui jusque-là "captai[t] tout, enregistrai[t] tout", s'est dit que ce devait être tout simplement la conséquence de la coupure qu'il avait voulu faire à son départ à la retraite, en cessant toute activité. Il ne s'en est pas fait au début, mais après deux ou trois ans, il a voulu savoir. C'était en 2011.
"Je n'avais pas l'angoisse de la maladie d'Alzheimer, car l'avoir ou pas, cela ne changeait pas grand chose. Mais c'est évident, si on m'avait diagnostiqué, cela m'aurait atteint", explique-t-il. Au CHRU de Lille, on lui a proposé d'entrer dans le projet de recherche Memento, qui suit sur plusieurs années l'évolution de patients atteints de troubles cognitifs bénins.
"Je ne ressens pas le besoin d'être rassuré, mais si cela permet de faire avancer les choses, tant mieux", explique-t-il, décrivant des premiers rendez-vous contraignants, notamment une ponction lombaire. Depuis, il a "l'impression que cela va mieux". Ses tests sont stables, mais "c'est prouvé", il n'arrive pas à se rappeler de certaines choses.
Pour la mémoire visuelle, c'est "presque toujours un sans faute", pour les mots, "c'est plus difficile". "Etre suivi, je pense que cela lève l'angoisse", reconnaît-il. Le ton de celui qui mène une vie "tout à fait normale", devient plus sec quand on aborde la maladie d'Alzheimer. " Ne pas être maître de son raisonnement, ce n'est pas supportable, ni pour soi, ni pour son environnement. C'est tout à fait clair pour moi, je ne voudrais pas faire vivre ça à ma famille", lâche Guy.
"Certes la maladie peut évoluer lentement, et pas forcément en négatif, mais rien ne le garantit. Si elle devait se déclencher, j'espère qu'on me le dira très clairement et que je serai encore capable d'agir de moi-même pour prendre des dispositions." Sans vouloir en dire plus.
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