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dimanche 15 septembre 2013

Le rire malpropre de l'homme

LE MONDE | 29.07.2013
Par Sandrine Cabut
"On peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui", prétendait l'humoriste Pierre Desproges. Quoique. Certains n'ont visiblement pas le choix, comme en témoigne le cas de Marcel, raconté par le neurologue Patrick Verstichel dans son ouvrage paru en mai Les Sens trompés (Belin, 160 p., 25 €). Depuis quelques semaines, cet homme a délaissé toutes ses activités de loisir et passe son temps à rire, quels que soient le sujet et ses interlocuteurs.
"L'examen se révèle particulièrement difficile, se rappelle le docteur Verstichel. A chaque question, le patient réagit comme s'il s'agissait d'une plaisanterie. Quand on lui demande son lieu de naissance, il est pris d'un fou rire, les larmes lui montent aux yeux, il étouffe pratiquement sous les hoquets, incapable bien sûr de répondre." Sa réaction sera identique quand le médecin lui annoncera qu'une intervention chirurgicale est nécessaire pour évacuer la volumineuse masse logée dans son cerveau. Le rire pathologique de Marcel était dû à un abcès dans le lobe frontal droit, consécutif à une simple infection dentaire.
Selon le docteur Verstichel, il existe un centre coordinateur du rire (au niveau du tronc cérébral), relié à diverses zones du cerveau intervenant dans les circuits émotionnels et moteurs. "Pour déclencher le rire, il faut une stimulation extérieure (...), précise-t-il. Les informations nerveuses créées par ces stimulations sont acheminées par les voies sensorielles jusqu'aux lobes frontaux. (...) Le lobe frontal droit est le plus sensible à l'humour, au paradoxe et à la métaphore, bien plus que son homologue gauche. Il joue un rôle de filtre, c'est-à-dire ajuste la réponse appropriée."
TUMEUR BÉNIGNE
Dans le cas de Marcel, l'abcès du lobe frontal droit a perturbé son rôle naturel de filtre inhibiteur. "Dès lors, toute situation et toute stimulation étaient considérées comme irrésistiblement drôles, et activaient la chaîne nerveuse de déclenchement du rire", conclut le neurologue.
De nombreuses pathologies atteignant le lobe frontal ou d'autres zones cérébrales profondes impliquées dans le circuit du rire peuvent s'accompagner d'hilarité anormale. Ainsi, un fou rire annonce parfois le début d'une attaque cérébrale... mais il est rarement diagnostiqué comme tel.
Tout aussi trompeuses sont les crises d'hilarité chez les nourrissons. Ces démonstrations spectaculaires de bonne humeur font en général le ravissement des parents. Mais, dans de rares cas, il peut en fait s'agir de véritables crises d'épilepsie dites "gélastiques", dues à une tumeur bénigne, l'hamartome hypothalamique.
Dans un registre proche, la propension maniaque aux plaisanteries et autres blagues de mauvais goût peut parfois témoigner d'une atteinte neurologique, au niveau du lobe frontal. Ce phénomène d'humour pathologique a été baptisé "witzelsucht". En 2005, des Taïwanais ont même décrit le cas d'un homme de 56 ans qui, après une hémorragie cérébrale, a développé ce goût immodéré pour les blagues à deux sous, associé à une hypersexualité. Tout un programme.

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