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vendredi 16 novembre 2012

Scripted reality : aussi vrai que nature

LE MONDE TELEVISION | 
C'est fou tout ce qui peut se passer dans une vie ! En tout cas, l'existence de M. et Mme Tout-le-monde - déjà largement évoquée dans les reportages et les émissions de plateau - semble constituer un vivier inépuisable pour la télévision, puisqu'elle a inspiré un nouveau genre, qui déferle depuis quelque temps sur les chaînes : la "scripted reality"(le "réel scénarisé"). Son concept ? Prendre des faits divers et des histoires réels et les faire jouer par des comédiens. Résultat : de petites fictions à l'allure de reportages. De fait, on s'y croirait. Normal. Tout est conçu pour cela.
Exemple. Pierre (un comédien, donc : Emmanuel Hussenot), pris en plan fixe, nous raconte que, médecin en ville, il avait décidé de changer d'environnement et de venir exercer dans le village de ses grands-parents. L'exposition faite, les images prennent le relais. Pierre est alors dans sa voiture, sur une petite route de campagne. Il renverse une adolescente à vélo qui, éjectée, se retrouve dans le fossé, évanouie. Au moment où Pierre se penche sur elle pour lui apporter de l'aide, la jeune fille se réveille, se met à hurler à la vue de cet homme, persuadée qu'elle a affaire à un violeur, elle se relève, s'enfuit. Pierre, éberlué, ramasse le vélo et le range dans le coffre de sa voiture...
La suite, on la devine. Accusé par la police puis menacé par la population, et surtout le frère de l'adolescente qui veut faire justice lui-même, Pierre a du souci à se faire. Il parviendra néanmoins à s'en sortir quand la prétendue victime, une fois l'effet de stupeur et l'émoi passés, reviendra sur ses accusations.
Le tout a duré quinze minutes. Quinze minutes qui font "vrai". Logique, puisque l'histoire est un des épisodes de la scripted reality "Mon histoire vraie", diffusée du lundi au vendredi sur TF1, à 11 h 20.
Le procédé, malgré quelques nuances de forme, est le même partout. Dans "Au nom de la vérité" (produite par la société d'Arthur, Serenity Fiction, et diffusée sur TF1, à 10 h 20, juste avant "Mon histoire vraie"), "Le jour où tout a basculé" sur France 2 (du lundi au vendredi à 16 h 10), ou dans "Si près de chez vous", sur France 3 (du lundi au vendredi à 13 h 45). On retrouve le même fond de sauce - la fiction - que relèvent par intermittence la voix off et la musique, ronflante et mélodramatique au moindre danger qui plane.
VALEUR PÉDAGOGIQUE
On l'aura compris. Le genre ne fait pas dans la dentelle. Il s'agit de capter le téléspectateur dès les premières minutes, créer l'empathie et tout expliquer pour ne laisser place à aucune zone d'ombre. D'ailleurs, tout a valeur pédagogique dans la scripted reality. L'image, les dialogues, les commentaires. Un personnage dont l'appel téléphonique s'interrompt regarde l'appareil et dit "Plus de batterie." Au cas où le doute aurait pu s'immiscer...
Concept venu d'Allemagne, la scripted reality semble être apparue comme une aubaine pour les chaînes en réflexion sur leurs cases du matin et de l'après-midi. "Lorsque nous réfléchissions sur une refonte de nos après-midi, nous nous sommes dit que ce nouveau genre, dont nous avions repéré le succès en Europe, pourrait parfaitement s'intégrer à cette tranche horaire et correspondre à ce que nous sommes. Des faits divers que nous avons tenu à construire comme des polars, façon Cluedo, des personnages proches de notre public, joués par des acteurs qui ne sont pas connus, des histoires qui ont lieu partout en France... Tout collait à notre souci de proximité", explique Julien Borde, directeur adjoint aux programmes de France 3. Installée dès septembre, entre "Météo à la carte", le nouveau magazine de la chaîne, et la série "Barnaby", "Si près de chez vous" restait dans le ton. L'ensemble était cohérent et le tour était joué.
Même son de cloche chez France 2 qui, après avoir repéré ce dérivé de la télé-réalité, s'est dit qu'elle pourrait bien entrer dans la construction des après-midi occupés depuis trop longtemps par des séries allemandes et des programmes un peu vieux. "Nous aimions le mélange magazine, fiction, divertissement, ainsi que cette façon inédite de raconter des histoires d'hommes et de femmes qui, habituellement, sont recueillies de façon plus grave, sur un plateau ou dans des reportages", souligne Nathalie Darrigaud, directrice des magazines de société de France 2. "Le jour où tout a basculé", placé après "Toute une histoire", "Comment ça va bien !" et avant le jeu "Seriez-vous un bon expert ?", se fondait parfaitement à la ligne que la chaîne souhaitait donner à cette tranche de l'après-midi. "Les comédiens ne sont pas connus, donc ils peuvent être vous et moi ; les histoires ne sont pas compliquées ; les décors sont ceux dans lesquels évoluent la majorité des gens. Nous ne sommes plus dans les grands appartements bourgeois des fictions traditionnelles. Tout concorde aux deux jambes qui animent France 2 : le décryptage et le miroir."
AUDIENCES AU BEAU FIXE
A TF1 aussi, la scripted reality rend heureux. Installée pour renforcer le jeu de 12 heures ("Les douze coups de midi"), "Mon histoire vraie", produite par Gazelle & Cie, a d'ores et déjà fait ses preuves. Après une semaine d'installation à l'antenne, la fiction avait enregistré une hausse d'un point. Jeudi 13 septembre, elle réalisait un pic d'audience à 600 000 téléspectateurs. Pour France 2 et France 3 aussi, les audiences sont au beau fixe, les habitués des après-midi sont restés et les femmes sont venues plus nombreuses au rendez-vous.
"La scripted reality présente de multiples avantages", précise Julien Courbet, dont la société, La Concepteria, produit "Le jour où tout a basculé". "C'est notamment un programme qui ne coûte pas cher et dont chaque épisode nécessite trois jours de tournage seulement. Nous avons en boîte 200 épisodes de 26 minutes. Même si nous nous appliquons à faire des images léchées comme dans un magazine, cela va vite." De fait. Ce nouveau genre qui convient aux cases du matin et de l'après-midi - trop "bon marché" pour les soirées - permet aux chaînes de faire du flux qui devient du stock qui, contrairement aux magazines, peut facilement être rediffusé. Comme n'hésite pas à le dire Julien Courbet, "la scripted reality, c'est un eldorado pour les chaînes".

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